La Bataille de Lépante (1571).

La bataille de Lépante, qui a lieu le 7 octobre 1571 dans le golfe de Patras, sur la côte occidentale de la Grèce, à proximité de Naupacte (alors appelée  « Lépante »), est une bataille navale de la quatrième guerre vénéto-ottomane, où s’affrontent la flotte ottomane de Sélim II et la flotte de la Sainte-Ligue. Cette coalition chrétienne formée sous l’égide du pape Pie V, comprenait des escadres vénitiennes et espagnoles, renforcées par des galères génoises, pontificales, maltaises et savoyardes. Cette bataille s’achève par la défaite des Ottomans qui y perdent la plus grande partie de leurs vaisseaux (187 sur 251 engagés) et plus de 20 000 hommes.

Le retentissement de cette victoire est immense en Europe, plus encore que la défaite des janissaires lors du Grand Siège de Malte en 1565, car elle apparaît comme un coup d’arrêt décisif porté à l’expansionnisme ottoman. C’est d’ailleurs en souvenir de cette victoire qu’est instituée la fête de Notre-Dame de la Victoire, puis fête du Saint-Rosaire à partir de 1573.

Certains historiens estiment que cette bataille navale est la plus importante par ses conséquences depuis celle d’Actium (31 avant J.-C.), qui a vu la victoire d’Octave (Auguste) sur Marc Antoine et Cléopâtre marquant ainsi la fin des guerres civiles romaines.


Le déclencheur est la prise de Chypre par les Ottomans en 1570 : la prise de cette possession de la République de Venise, au terme d’une conquête brutale (plus de 20 000 habitants de Nicosie sont mis à mort), entraîne rapidement une réaction des catholiques européens. Sous le nom de « Sainte-Ligue », le pape Pie V mobilise et réussit à constituer une alliance entre l’Espagne, Venise, les États pontificaux, la république de Gênes, le duché de Savoie, l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem et quelques autres puissances.

L’ensemble s’inscrit dans le contexte plus général d’une lutte généralisée d’influence pour le contrôle de la Méditerranée. La bataille dérive des tensions géopolitiques et religieuses croissantes de l’époque, consécutives à la montée de l’expansionnisme musulman ottoman en Méditerranée. Celui-ci menace à nouveau des puissances chrétiennes, en particulier les intérêts espagnols, puissance dominante dans la région à l’époque. Depuis le début du XVIe siècle, les Turcs pratiquent des razzias en Méditerranée occidentale. Débarquant sur les côtes italiennes ou espagnoles, ils pillent les villes du littoral et arrachent les populations à leur village pour les emmener comme esclaves au service du sultan de l’Empire ottoman.

La Sainte-Ligue a mobilisé au total 206 galères et 6 galéasses et pour la flotte ottomane, un total de 208 galères supportées par 64 fustes et 53 galiotes.

À Messine, au cours de l’été 1571, les navires arrivent les uns après les autres. Au total, il y a 212 galères, dont six galéasses, transportant 28 750 soldats de diverses origines, espagnole, génoise, vénitienne, et de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, ainsi qu’environ 40 000 marins et galériens6 . Placée sous le commandement de don Juan d’Autriche, le demi-frère de Philippe II, la flotte quitte Messine le 16 septembre et se dirige vers Corfou. Là, des navires éclaireurs localisent la flotte turque. Elle est rassemblée dans le golfe de Lépante (aujourd’hui Naupacte), à l’entrée du golfe de Corinthe (golfe de Patras). 330 navires turcs la composent, déplacés par environ 50 000 marins et galériens et transportant 27 000 soldats

Au matin du 7 octobre 1571, au soleil levant, la flotte chrétienne se positionne à l’entrée du golfe.

Premier succès pour don Juan d’Autriche : il a réussi à enfermer les navires ennemis dans un petit golfe. Aucune sortie n’est possible sans affrontement. Le combat qui est un combat naval en liminaire devient un combat d’infanterie sur les ponts des bateaux lors des abordages successifs. Les galéasses, puissamment armées, s’enfoncent dans les lignes de défense turques, et provoquent leur désordre et leur désorganisation. L’infanterie espagnole, bien équipée et munie d’équipes d’arquebusiers, part à l’abordage des navires ennemis avec à sa tête les tercios, où elle montre sa force et sa supériorité. Les fines galères, commandées par Giovanni Andrea Doria7 contribuent par la précision de leurs attaques, à prendre l’avantage sur les défenseurs turcs. Les boulets ouvrent des brèches dans les navires turcs, le feu se répand de bateau en bateau, et la panique s’empare des Turcs. Au centre du golfe, les énormes vaisseaux vénitiens, détruisant les galères ennemies aux alentours, empêchent la contre-offensive des réserves ottomanes. Seul le bey d’Alger, Uludj Ali, parvient, avec trente galères, à s’échapper.

Pendant le cours de la bataille, le navire du commandant ottoman est envahi par les hommes de la galère de Juan d’Autriche ainsi que par celle de l’amiral savoyard André Provana de Leyni. L’amiral turc est fait prisonnier puis décapité et sa tête est placée au bout du mât du navire principal espagnol. Au soir, les Chrétiens ont définitivement remporté la victoire.

La démesure de l’affrontement en fait un événement majeur. Du côté des Ottomans, 170 galères sont coulées ou capturées, 30 000 hommes sont tués ou blessés et 3 000 faits prisonniers. En outre, plus de 15 000 galériens chrétiens ont été libérés ce jour-là. Seuls Uluç Ali Paşa avec une sa flotte d’une trentaine de galères ainsi qu’une dizaine de fustes et galiotes échappent à la débâcle en s’enfuyant vers Lépante avec 12 000 hommes d’équipage. Uluç Ali Paşa est nommé Capitan pacha (grand amiral de la flotte ottomane) le 28 octobre.

Du côté chrétien, les pertes sont légères en termes de navires mais importantes sur le plan humain : seules 10 galères sont coulées et toutes les galères capturées sont reprises à l’exception d’une ; en revanche, sur le plan humain, le bilan est lourd dans la mesure où 8 000 hommes trouvent la mort pendant les combats et 21 000 autres sont blessés, dont beaucoup ne survivent pas à leur transport vers Corfou.

Néanmoins, l’Empire ottoman surmontera sa défaite. Au cours de l’été 1572, un an après Lépante, une armée de 250 galères et 8 galéasses turques, commandée par Uludj Ali, se livre à une démonstration de force en Méditerranée orientale. Venise, une fois de plus, se résigne à traiter avec le sultan de Constantinople, auquel elle verse un tribut de 300 000 ducats. Chypre demeura aux mains des Ottomans.

La défaite eut une importance considérable pour les Ottomans, qui n’avaient pas perdu de bataille navale importante depuis le quinzième siècle. Elle fut pleurée par eux comme un acte de la Volonté divine, des chroniques contemporaines rappelant que « la Flotte Impériale avait affronté la flotte des Infidèles impurs, et la volonté de Dieu tourna en sa défaveur ».

Le spécialiste français de l’histoire ottomane, Gilles Veinstein, mentionne une lettre de la Sainte-Ligue publiée à Paris en 1572 selon laquelle « le désastre de Lépante aurait semé la panique à Istanbul. Sélim II aurait fait passer son trésor à Bursa, de même que les femmes et les jeunes enfants mâles du sérail. Lui-même et ses janissaires se seraient réfugiés à Edirne, tandis que les défenses d’Istanbul étaient renforcées. La population musulmane aurait également fui la capitale ne la laissant peuplée que de Grecs et de Chrétiens francs ».

Cependant, la Sainte-Ligue ne réussit pas à tirer profit de sa victoire, et alors que la défaite ottomane a souvent été citée comme le tournant historique du début de la fin de l’expansion de l’Empire ottoman, ce ne fut en aucun cas la conséquence immédiate ; même si cette victoire des Chrétiens à Lépante confirma une division de facto de la Méditerranée, avec une moitié à l’est sous la domination ottomane et l’autre moitié à l’ouest sous le contrôle de la dynastie des Habsbourg et de ses alliés italiens, arrêtant l’établissement des Ottomans sur les côtes italiennes, la Sainte-Ligue ne regagna aucun des territoires conquis et perdus avant Lépante.

Les Ottomans furent rapides à reconstruire leur marine, bien qu’inférieure à la précédente en qualité des navires et des équipages ; la perte de la plupart des équipages de rameurs fut particulièrement critique. Dans le courant 1572, à peu près six mois après la défaite, plus de 150 galères, 8 galéasses, et au total 250 navires furent reconstruits, comprenant huit parmi les plus grands navires jamais vus dans la Méditerranée. Avec cette nouvelle flotte, l’Empire ottoman était capable de réaffirmer sa suprématie sur la Méditerranée orientale. Le grand vizir Mehmet Sokkolü, premier ministre du sultan Sélim II, se vanta devant l’émissaire vénitien Marcantonio Barbaro que le triomphe des chrétiens à Lépante n’avait causé aucun dommage resté visible à l’Empire ottoman, alors que la capture de l’île de Chypre par les Ottomans au cours de la même année était un dommage formidable et durable.

En 1572, la flotte chrétienne alliée reprit de nouvelles opérations et fit face à une nouvelle marine ottomane de 200 vaisseaux sous le commandement de Uluç Ali Paşa. Ce dernier évita soigneusement d’affronter la flotte chrétienne alliée et se réfugia en sécurité sous les défenses de la forteresse de Modon. L’arrivée d’un renfort de 55 navires espagnols équilibra le nombre de bateaux engagés des deux côtés et ouvrit la possibilité d’une attaque décisive, mais un grand désaccord entre les amiraux de la flotte chrétienne et l’indécision de Don Juan firent disparaître cette opportunité.

Pie V décéda le 1er mai 1572. Des divergences dans les intérêts des membres de la Ligue commencèrent à se faire jour et l’alliance chrétienne se défit progressivement. En 1573, la flotte de la Sainte-Ligue ne put se rassembler et agir de manière coordonnée. À l’inverse, Don Juan attaqua Tunis et prit la ville, mais avec la seule conséquence qu’elle fut reprise par les Ottomans en 1574. Venise, craignant la perte de ses possessions en Dalmatie et une invasion possible du Frioul, désireuse de réduire ses pertes et de reprendre son commerce traditionnel avec l’Empire ottoman, amorça des négociations unilatérales avec la Sublime Porte.

Le grand historien Fernand Braudel a écrit, à propos de Lépante : « L’enchantement de la puissance ottomane est brisé, la course chrétienne active réapparaît, l’énorme armada turque se disloque. »

La Sainte-Ligue se désintégra à la suite du traité de paix du 7 mars 1573 conclu entre Venise et l’Empire ottoman et qui termina la guerre de Chypre. Venise accepta les termes de sa défaite, malgré la victoire de Lépante. Chypre fut formellement cédée à l’Empire ottoman, et Venise accepta de payer une indemnité de 300 000 ducats. Ajouté à cela, la frontière entre les deux puissances en Dalmatie fut modifiée à l’avantage des Ottomans, en tenant compte de l’occupation importante des Turcs sur le territoire dans les plaines les plus fertiles autour des cités vénitiennes, ce qui eut des conséquences sur l’économie de ces cités en Dalmatie. La paix entre ces deux puissances dura jusqu’à la guerre de Candie de 1645.

Malgré ces revers diplomatiques, l’expansionnisme ottoman est en revanche irréversiblement marqué par la défaite de Lépante. Comme le souligne l’historien Bartolomé Bennassar : « Avant les coups d’arrêt de Malte et de Lépante (1565-1571), la poussée turque paraissait impossible à contenir. Or, après ce paroxysme de la guerre, la Méditerranée occidentale cesse d’être pour les Ottomans un objectif prioritaire ». S’ils ont rapidement remplacé les navires, les Turcs n’ont jamais vraiment pu se remettre de la perte de 20 000 hommes, souvent hautement qualifiés — marins, rameurs, archers embarqués comme « artillerie légère ». Grâce à leur alliance avec la France, en lutte contre l’Espagne, les Ottomans réussissent à finaliser leur conquête du Maghreb avec la prise de Tunis en 1574, mais pour l’essentiel leur influence en Méditerranée occidentale prend fin avec Lépante.

Militairement, la bataille montre la redoutable efficacité des galéasses (grosses galères à voiles armées de canons fixés au navire). Même si des batailles antérieures plus limitées l’avaient déjà annoncé, même si la flotte chrétienne comportait un nombre important de galères (mais la flotte turque ne comprenait pas de galéasse), et même si l’emploi du canon a été moins décisif que la légende ne l’a voulu, on considère généralement la bataille de Lépante comme la fin des flottes de galères au profit des galions armés de canons.

La portée de la bataille de Lépante fait l’objet de débats historiographiques. Certains ont vu dans cette victoire de forces européennes coalisées avec la papauté l’émergence d’une certaine « conscience européenne », structurée ici autour de son identité religieuse.

Cette analyse est nuancée par Aymeric Chauprade, qui souligne que la France était absente de la Sainte Ligue et qu’elle était alliée aux Ottomans depuis l’alliance franco-ottomane de 1536. Aussi, la création de la Sainte Ligue répondait à un impératif Realpolitik de la part de la papauté, qui voyait son autorité glisser de ses mains, et des territoires chrétiens s’éloigner de sa zone d’influence du fait des guerres de religion. Il juge cette victoire comme « une alliance classique d’États qui craignent de ne pas faire le poids face à un ennemi plus fort que chacun d’entre eux ». Certains auteurs ont aussi soutenu que l’Empire ottoman était considéré jusqu’à la bataille de Lépante comme une puissance européenne.

Source : Wikipédia.

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