Henri Grouès, dit l’abbé Pierre, prêtre, résistant, député et fondateur du mouvement Emmaüs.

Henri Grouès, dit l’abbé Pierre, né le 5 août 1912 à Lyon et mort le 22 janvier 2007 dans le 5e arrondissement de Paris, est un prêtre catholique français, d’abord capucin, puis du diocèse de Grenoble (1939), résistant, puis député, fondateur du mouvement Emmaüs (organisation non confessionnelle de lutte contre l’exclusion) comprenant la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés et de nombreuses autres associations, fondations et entreprises de l’économie sociale en France.


Henri Grouès est né à Lyon (IVe) dans une famille bourgeoise aisée et pieuse de négociants en soie lyonnais, originaire, du côté paternel, du hameau de Fouillouse à Saint-Paul-sur-Ubaye (son père y est négociant, son grand-père marchand toilier et son arrière-grand-père propriétaire-cultivateur-colporteur), et de Tarare dans le Rhône du côté maternel. Il est le cinquième de huit enfants. Il est baptisé à l’église Saint-Eucher, dans le 4e arrondissement de Lyon. Il passe son enfance à Irigny, une commune au sud-ouest de Lyon. Dès l’âge de six ans, il accompagne son père catholique actif et pieux qui, chaque dimanche matin, s’occupe des sans-abris et mendiants aux alentours du quai Rambaud. À 12 ans, il accompagne son père à la confrérie séculaire des hospitaliers veilleurs où, le dimanche, les bourgeois se font coiffeurs barbiers pour les pauvres.

Abbé Pierrre, carte maximum, Paris, 22/01/2010.

Élève des Jésuites à l’internat Saint-Joseph (actuel lycée Saint-Marc), il est scout de France, y recevant le totem de « Castor méditatif ». Il connaît, à cette époque ce qu’il appelle des « illuminations » qui orientent sa vie. En 1928 à 16 ans, à l’occasion d’un pèlerinage à Rome, il est frappé d’un « coup de foudre avec Dieu » selon ses propres mots, à la suite duquel il souhaite entrer chez les franciscains. Cependant, vu son âge (17 ans) il devra attendre.

En 1931, il fait sa profession religieuse chez les capucins où il prononce ses vœux. Par vœu de pauvreté il renonce cette année-là à sa part du patrimoine familial, et donne tout ce qu’il possède à des œuvres caritatives. En religion, Henri Grouès devient frère Philippe. En 1932, il termine la période de noviciat et est transféré au couvent des Capucins de Crest (Drôme), où il passe sept années de formation intellectuelle et religieuse dans une grande austérité de vie. Il est particulièrement marqué par l’adoration quotidienne nocturne.

Le 18 décembre 1937, Henri Grouès (frère Philippe) est ordonné diacre par monseigneur Camille Pic, évêque de Valence (Drôme), dans la chapelle du Grand Séminaire, 75 rue Montplaisir, qui abrite aujourd’hui le lycée privé catholique Montplaisir.

Il est ordonné prêtre le 24 août 1938 en la chapelle de son ancien collège, le lycée Saint-Marc, en même temps que le jésuite Jean Daniélou, futur cardinal. En accord avec ses supérieurs, il quitte l’ordre des Capucins le 18 avril 1939 à cause de sa santé fragile. Le cardinal Gerlier l’invite alors à intégrer le diocèse de Grenoble où il est incardiné le 2 mai 1939 et nommé le 14 mai suivant vicaire à la basilique Saint-Joseph de Grenoble par l’évêque Mgr Caillot.

Il est mobilisé comme sous-officier dans le régiment du train des équipages, en décembre 1939, au début de la Seconde Guerre mondiale.

Il souffre de pleurésie et passe la totalité de la drôle de guerre à l’hôpital. En octobre 1940, il est nommé aumonier de l’hôpital de La Mure (Isère) puis de l’orphelinat de La Côte-Saint-André.

Selon sa biographie officielle issue des archives du ministère de la Défense nationale, « vicaire à la cathédrale Notre-Dame de Grenoble, il recueille des enfants juifs dont les familles ont été arrêtées lors des rafles des Juifs étrangers en zone sud, en août 1942 ».

En novembre 1943 il fait passer en Suisse le plus jeune frère du général de Gaulle, Jacques, ainsi que son épouse qu’il confie au réseau de l’abbé Marius Jolivet, curé de Collonges-sous-Salève. Il participe à la création de maquis dont il est un des leaders dans le massif du Vercors et le massif de la Chartreuse. C’est à cette époque qu’il rencontre Lucie Coutaz, qui le cache sous un faux nom, et restera sa secrétaire particulière jusqu’à sa mort en 1982. Elle est considérée comme la cofondatrice du mouvement Emmaüs.

Il aide les réfractaires au service du travail obligatoire (STO). Dans la clandestinité il adopte le nom d’abbé Pierre qui lui restera jusqu’à la fin de sa vie. En 1944, il est arrêté par l’armée allemande à Cambo-les-Bains, dans les Pyrénées-Atlantiques, mais est relâché et passe en Espagne puis rejoint via Gibraltar le général de Gaulle à Alger en Algérie. Il devient aumônier de la Marine sur le cuirassé Jean Bart à Casablanca (Maroc). Toute sa vie il portera la croix d’aumônier de la marine sur la poitrine.

Ses actions dans la résistance lui valent la croix de guerre 1939-1945 avec palme à la Libération. À son expérience passée et aux drames dont il a été témoin, il doit, comme bien d’autres résistants de tout bord qui l’ont côtoyé, son engagement politique pour restaurer une société digne fondée sur les droits humains fondamentaux, mais aussi sa profonde détermination à agir pour des causes qu’il croit justes, y compris parfois dans l’illégalité, et à mobiliser autour de lui pour faire changer les lois établies et les regards indifférents.

Après la guerre, sur les conseils de l’entourage du général de Gaulle, et l’approbation de l’archevêque de Paris, il est élu par trois fois député en Meurthe-et-Moselle comme indépendant apparenté au Mouvement républicain populaire (MRP) : le 21 octobre 1945 puis le 2 juin 1946, dans les deux assemblées nationales constituantes successives ; puis à l’Assemblée nationale, de 1946 à 1951, où il siège d’abord au sein du groupe MRP. Sa profession de foi affiche un programme dit de troisième force (“ni capitaliste, ni collectiviste”). Il siège sous le nom de Grouès (M. l’abbé Pierre) puis, à partir du 13 juin 1946, est enregistré au nom de Pierre-Grouès (M. l’abbé).

Il fonde, le 19 juin 1947, le groupe parlementaire fédéraliste français, avec 80 autres députés. Il participe ensuite au Congrès de Montreux des 27-31 août 1947 à la fondation du Mouvement universel pour une Confédération mondiale18, mouvement fédéraliste mondialiste. Il en devient le vice-président. Avec Albert Camus et André Gide, il fonde en 1948 le comité de soutien à Garry Davis, fondateur d’un autre mouvement mondialiste, celui des Citoyens du monde, qui s’oppose à la remontée rapide des égoïsmes nationaux et déchire son passeport devant l’ambassade américaine.

Il se désolidarise du parti politique après « l’incident sanglant » de Brest d’avril 1950, ayant provoqué la mort de l’ouvrier Édouard Mazé. Dans sa lettre de démission du 28 avril 1950, Pourquoi je quitte le MRP, il dénonce les positions politiques et sociales du Mouvement. Il rejoint ensuite la Ligue de la jeune République, mouvement chrétien socialiste, ainsi que le groupe de la Gauche Indépendante.

Il se présente aux élections législatives de 1951, à la tête d’une liste de Défense des intérêts démocratiques et populaires composée de gens humbles et dépourvus de toute notoriété, sans le soutien du MRP ni celui de la hiérarchie catholique. Il n’est pas réélu.

L’abbé Pierre retourne à sa vocation première de prêtre-aumônier et s’investit, avec sa petite rente d’ex-député, dans ses actions caritatives. Il expliquera plus tard qu’il est plus intéressant d’être « ex-député » que député.

Il participe néanmoins à certaines campagnes, en parrainant par exemple, lors de la guerre d’Algérie, le comité pour la défense du droit à l’objection de conscience créé par Louis Lecoin, aux côtés d’André Breton, Albert Camus, Jean Cocteau et Jean Giono. Ce comité obtient un statut, restreint, en décembre 1963 pour les objecteurs.

Il fonde en 1949 le mouvement Emmaüs (en référence à Emmaüs, village de Palestine apparaissant dans un épisode du dernier chapitre de l’Évangile selon saint Luc). Ce mouvement est une organisation laïque de lutte contre l’exclusion, présente aujourd’hui dans 41 pays du monde. Il commence ainsi dès l’été 1949 par fonder la communauté Emmaüs de Neuilly-Plaisance, au 38 avenue Paul Doumer, au départ auberge de jeunesse.

La rencontre avec George, désespéré qui a perdu toute raison de vivre, et à qui l’abbé Pierre demande « Viens m’aider à aider » marque cependant le véritable acte fondateur du mouvement Emmaüs.

Les communautés Emmaüs se financent par la vente de matériels et d’objets de récupération et construisent des logements :

« Emmaüs, c’est un peu la brouette, les pelles et les pioches avant les bannières. Une espèce de carburant social à base de récupération d’hommes broyés. »

Non réélu en 1951 en raison du système des apparentements, il perd ses 12 000 € d’indemnités de député et est réduit à mendier ou vendre des publications à la dérobée pour subvenir aux besoins d’Emmaüs. Dans le même temps, les compagnons d’Emmaüs systématisent la chine qui est complétée à partir de février 1952 par la « biffe sur le tas ».

Le 29 mars 1952, il participe au jeu Quitte ou double animé par Zappy Max sur Radio Luxembourg pour alimenter financièrement son combat, où il gagnera 256 000 francs de l’époque (ce qui correspond à près de 5 500 € en 2017).

Il lance le 1er février 1954 un appel mémorable sur les antennes de Radio-Luxembourg (future RTL)27, qui deviendra célèbre sous le nom d’« Appel de l’abbé Pierre ».

Le lendemain, la presse titra sur « l’insurrection de la bonté ». L’appel rapportera 500 millions de francs en dons (dont 2 millions par Charlie Chaplin qui dira à cette occasion : « Je ne les donne pas, je les rends. Ils appartiennent au vagabond que j’ai été et que j’ai incarné. »), une somme énorme pour l’époque et complètement inattendue, des appels et courriers qui submergèrent complètement le standard téléphonique de la radio, et des dons en nature d’un volume si immense qu’il fallut des semaines pour simplement les trier, les répartir et trouver des dépôts pour les stocker convenablement un peu partout en France.

Avec l’argent rassemblé à la suite de son appel à la radio, il fait construire des cités d’urgence (dont celle de Noisy-le-Grand ressemble à un bidonville car elle s’inspire du projet de l’architecte américain Martin Wagner, les bâtiments sont en forme de demi-bidon métallique). Ces cités appelées à être provisoires se transformèrent progressivement, dans le meilleur des cas, en cités HLM.

Le combat de l’abbé Pierre a aussi permis l’adoption d’une loi interdisant l’expulsion de locataires pendant la période hivernale.

L’appel de 1954 attira des bénévoles de toute la France pour aider d’abord à la redistribution, mais aussi fonder les premiers groupes se réclamant de cet appel. Rapidement, il dut organiser cet élan inespéré de générosité, et le 23 mars 1954 il fonde, avec ces dons, l’association Emmaüs, ayant pour objectif de regrouper l’ensemble des communautés Emmaüs. Cependant, l’association Emmaüs perdra rapidement ce rôle de fédération des groupes Emmaüs, pour se concentrer sur la gestion des centres d’hébergement et d’accueil Emmaüs de Paris et sa région.

À l’époque, ces communautés construisent des logements pour les sans-abri, et les accueillent en leur procurant non seulement toit et couvert en situation d’urgence mais aussi un travail digne. Nombre de compagnons d’Emmaüs seront ainsi d’anciens sans-abri, de tous âges, genres et origines sociales, sauvés de la déchéance sociale ou parfois d’une mort certaine et rétablis dans leurs droits fondamentaux, par les communautés issues de cet élan de générosité à qui ils retournent leurs remerciements par leur propre engagement caritatif.

Le mouvement Emmaüs se développe ensuite rapidement dans le monde entier, au gré des voyages de l’abbé Pierre, principalement en France et en Amérique latine.

En 1963, il est victime d’un naufrage dans le Río de la Plata (Argentine). Annoncé mort pendant quelques jours, l’abbé Pierre prend alors conscience que sa mort signifierait la disparition du seul lien entre les groupes Emmaüs du monde, ce qui aurait pu mener à la disparition du mouvement. C’est donc à la suite de cet événement que l’abbé Pierre décide de préparer la fondation d’Emmaüs International, qui verra le jour en 1971.

Ainsi, d’abord très désorganisé et très spontané, le mouvement Emmaüs se structure progressivement jusqu’à acquérir sa forme actuelle. En 1985 est créée l’association Emmaüs France, qui regroupe alors tous les groupes Emmaüs français, alors que l’association Emmaüs se focalise sur Paris et ne joue plus son rôle initial de fédération.

Plus tard, en 1988, l’abbé Pierre crée avec son ami Raymond Etienne la Fondation Abbé-Pierre, chargée de poursuivre son combat. Reconnue d’utilité publique en 1992, la Fondation Abbé-Pierre a pour objet la lutte contre le mal-logement.

L’abbé Pierre est, avec sa secrétaire Lucie Coutaz, à l’origine d’Emmaüs. Cependant, il n’en a jamais été un dirigeant opérationnel. D’un caractère spontané, il est peu porté vers l’organisation. Ainsi, il préférera toujours créer de nouvelles structures, initier de nouveaux projets, que de gérer celles qui existent.

Par exemple, il marquera à plusieurs reprises son opposition à la création de l’Union centrale de communautés Emmaüs, qui en 1958 se donne pour objet de professionnaliser la gestion des communautés Emmaüs, et qui selon l’abbé Pierre voulait donner une « trop rigide définition de tout ».

Cependant, l’abbé Pierre a bien conscience de la nécessité d’une telle structuration, même si elle ne correspond pas à son penchant naturel. Il encouragera ainsi la fondation d’Emmaüs International en 1971 (voir la section Développement d’Emmaüs).

L’abbé Pierre meurt le 22 janvier 2007, tôt le matin (5 h 25 heure locale), à l’hôpital du Val-de-Grâce à Paris, des suites d’une infection du poumon droit consécutive à une bronchite. Il était âgé de 94 ans.

Il affirmait :

 « J’ai passé ma vie à prier Dieu pour mourir jeune », et ajoutait : « Vous voyez, c’est raté ! ».

L’abbé Pierre faisait également régulièrement allusion à sa mort en évoquant son départ en « grandes vacances ».

Voir aussi cette vidéo :

Sources : Wikipédia, YouTube.

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