Ettore Majorana, physicien.

Ettore Majorana (Catane, Sicile, 5 août 1906 – présumé mort après 1959) est un physicien italien. Il est surtout connu pour ses travaux en physique des particules, avec des applications particulières de la théorie des neutrinos. Sa disparition soudaine et mystérieuse, au printemps de 1938, a suscité de nombreuses spéculations sur un possible suicide en mer Tyrrhénienne, ou sur une disparition volontaire.


En 1926, le professeur Corbino, désireux de promouvoir à Rome une physique moderne, fait nommer Enrico Fermi à la chaire de physique théorique de l’université la Sapienza, via Panisperna ; Edoardo Amaldi et Emilio Segrè rejoignent le groupe dès l’automne 1927. Segrè réussit à convaincre Majorana que la physique correspond à ses aspirations et à ses capacités, et à lui faire rejoindre lui aussi l’institut de physique théorique que vient de créer Fermi. Ce transfert se fait en janvier 1928, après une réunion avec Fermi.

La réunion donne lieu à une anecdote significative : Majorana s’enquiert de la recherche actuelle à l’Institut. Fermi travaille alors au modèle statistique de l’atome : il fait l’hypothèse que le potentiel électrostatique auquel est soumis un électron est approximativement égal au potentiel moyen créé par le noyau et les autres électrons, ce qui permet de déterminer une valeur approchée du niveau d’énergie de l’électron. Fermi expose à Majorana les lignes générales de ce « potentiel universel de Fermi » – qui prendra plus tard le nom de modèle de Thomas-Fermi –, puis lui montre un tableau où il a réuni quelques-unes des valeurs numériques de ce potentiel moyen, qu’il avait calculées en une semaine à l’aide d’une machine à calculer mécanique. Majorana écoute avec intérêt, et après avoir demandé quelques précisions, s’en va. Le lendemain, en fin de matinée, Majorana revient à l’institut, entre dans le bureau de Fermi et sans préambule demande à revoir le tableau qu’il a vu la veille. Tirant alors de sa poche un papier sur lequel en une nuit il a fait un tableau similaire, mais complet, il conclut que les résultats de Fermi sont justes. Puis il sort du bureau.

Dans ce groupe connu sous le nom des Garçons de la rue Panisperna, des surnoms parodiques sont attribués, la plupart issus de la hiérarchie catholique : Fermi est « le pape » ; Rasetti, qui remplace souvent Fermi dans des tâches importantes, est le « cardinal vicaire » ; Corbino est surnommé le « Père éternel » ; Segrè le « Basilic » (créature mythologique) à cause de son caractère mordant ; Amaldi, en raison de ses traits physiques délicats, est appelé « Joues rouges » ou « Adonis », surnom qu’il n’aime pas du tout ; Majorana, lui, est le « Grand Inquisiteur » : en effet, la vivacité de son intelligence, l’étendue de ses connaissances et son esprit critique sans concession le rendent redoutable. Il commence à fréquenter régulièrement l’Institut, mais seulement jusqu’à l’obtention de son doctorat d’université le 6 juillet 1929, où il obtient la note de 110/110 avec toutes les félicitations possibles ; il y présente, sous la supervision de Fermi, un mémoire sur la théorie quantique des noyaux radioactifs. S’il est ensuite peu présent physiquement à l’institut, et aussi peu disposé à s’exposer, son rôle a été crucial dans beaucoup de recherches.

En 1929 et 1930, il travaille sur l’effet tunnel ; sa thèse est le travail de pointe en Italie sur la physique nucléaire théorique. Il a un rôle d’aratro (il « laboure le terrain »). En novembre 1932, il obtient son doctorat d’État (Libera Docenza) en physique théorique.

Les travaux de Majorana ont apporté une contribution fondamentale au développement de la physique moderne, abordant de nombreuses questions d’une manière originale. Dans un premier temps il publie six articles concernant essentiellement la physique atomique : chimie, spectroscopie atomique, une théorie de la liaison chimique (où il montre sa  compréhension du mécanisme d’échange des électrons de valence), le calcul de la probabilité de renversement du spin (inversion du moment cinétique) des atomes d’un faisceau de gaz polarisé quand celui-ci se déplace dans un champ magnétique rapidement variable. Edoardo Amaldi note « son aisance peu commune à exploiter les propriétés de symétrie pour simplifier les problèmes », qu’il attribue à ses « dons exceptionnels de calculateur ».

En janvier 1932, prenant connaissance des notes des époux Joliot-Curie sur ce qu’on nommait le « rayonnement pénétrant de Bothe-Becker », il suggère aussitôt qu’ils ont sûrement découvert un « proton neutre », le neutron, dont l’existence sera démontrée par Chadwick peu de temps après. Il ébauche ensuite une théorie où les protons et les neutrons seraient les seuls constituants du noyau et émet l’idée que ces particules interagiraient par les forces d’échange des seules coordonnées spatiales. Malgré l’insistance de Fermi, il refuse de publier, de sorte que c’est Werner Heisenberg qui publie en juillet 1932 la première ébauche d’une théorie du noyau très proche de son modèle, ce qui désole Fermi.

La contribution scientifique majeure de Majorana est constituée de ses trois derniers articles. Le premier, d’une très grande importance pour lui et publié (cette fois, Fermi a réussi à l’en convaincre) en décembre avant son départ pour Leipzig, est une Théorie relativiste des particules de moment intrinsèque arbitraire : Majorana cherche à construire une théorie  alternative à celle de Dirac, qui permettrait d’éliminer complètement les solutions à énergie négative. Cette vision en avance sur la recherche de l’époque fournit un spectre des masses des particules. La découverte du positron aurait presque pu faire oublier ce travail, pourtant il contenait une découverte mathématique importante : le développement et l’utilisation des représentations unitaires de dimension infinie du groupe de Lorentz. Cet article extrêmement difficile n’a pratiquement pas été lu (ni compris) de son vivant. On a pu reconstituer en partie l’évolution de ces études à partir d’une série de manuscrits, les Quaderni e i Volumetti — 18 carnets et 5 cahiers (« petits volumes ») — conservés à la Domus Galilaeana de Pise et publiés en 2006.

À Rome, il souffre d’une gastrite très douloureuse et certainement aussi d’une dépression nerveuse, des maux qui ont inévitablement des  répercussions sur son caractère et son humeur, et qui l’ont amené à suivre des régimes alimentaires excentriques et à se reclure totalement chez lui. Il ne reçoit personne, et retourne les lettres qu’on lui envoie en les signalant ainsi de sa main : « Rejeté, destinataire décédé. » Il prend peu soin de son apparence physique et se laisse pousser les cheveux et la barbe. Il correspond abondamment avec son oncle Quirino Majorana, un physicien expérimental qui étudie la photoconductivité de lames métalliques.

Toutes les tentatives de Giovanni Gentile et d’Edoardo Amaldi « pour le ramener à la science et à la vie » restent vaines. En 1934, son père meurt et jusqu’en 1936, son état ne semble pas s’améliorer. Il vit reclus, continuant à se passionner pour les flottes de guerre, lisant SchopenhauerWilliam Shakespeare et Pirandello, jouant aux échecs et ne parlant plus de physique.

En 1936, il semble aller mieux, voyage à nouveau, et travaille d’arrache-pied à élaborer une électrodynamique quantique – sujet très en pointe à ce moment – en proposant une formulation quantique des lois de l’électromagnétisme. Les « ragazzi » sont ravis de ce retour à la vie de leur collègue et lui font savoir qu’il est question de créer plusieurs chaires de physique théorique. Majorana ressort pour l’occasion de vieux manuscrits, des travaux commencés quatre ans plus tôt à Leipzig, et rédige en quelques jours ce qui sera son dernier article, Théorie symétrique de l’électron et du positron, qui est aujourd’hui son travail le plus célèbre. Il imagine, calculs à l’appui, et contrairement à la théorie de l’antimatière de Dirac (1930), que les particules dépourvues de charge électrique sont des particules qui sont leurs propres antiparticules (particules de Majorana).

À l’étonnement de beaucoup, Majorana participe donc à ce recrutement académique en octobre 1937. Afin de ne pas éliminer un des concurrents (probablement son ami Gentile), la commission de recrutement crée un poste supplémentaire du fait de ses « mérites exceptionnels » et de sa « grande notoriété, qui est amplement justifiée ». Après avoir refusé Cambridge, Yale et la Fondation Carnegie, il rejoint son poste à Naples en janvier 1938 où il se lie d’amitié avec Antonio Carrelli, professeur de physique expérimentale et directeur de l’Institut de chimie et de physique. Quinze jours après sa leçon inaugurale, y croisant par hasard un certain Giuseppe Occhialini28, de passage à Naples et qui est heureux de serrer la main de Majorana, ce dernier lui confie : « Vous arrivez juste à temps : si vous étiez venu plus tard vous ne m’auriez plus trouvé. » Puis il ajoute : « Car il y a ceux qui en parlent et ceux qui le font. »

Il n’a que cinq étudiants, quatre femmes et un homme ; Gilda Senatore semble avoir été la dernière personne de l’Institut à lui parler. La qualité de ses cours qui nous sont parvenus montre l’intérêt qu’il portait à son travail d’enseignement.

Le 26 mars 1938, il prend le paquebot-poste pour Palerme après avoir envoyé une lettre à Carrelli et en avoir laissé une autre « à sa famille » où son intention de suicide est clairement énoncée. En fait, il ne se suicide pas, débarque à Palerme, envoie un télégramme et une autre lettre à Carrelli où il lui annonce qu’il revient à Naples et qu’il renonce à l’enseignement. Il semble qu’il ait repris le bateau vers Naples selon le professeur V. Strazzeri de l’université de Palerme. La compagnie maritime Tirrenia aurait retrouvé son billet.

Mais il n’a plus jamais donné signe de vie. Toutes les enquêtes de sa famille ou de la police au cours de l’année qui suit sont vaines. Dans son roman Feu Mathias Pascal, Pirandello écrit : « Qui peut dire le nombre de ceux qui sont comme moi, mes frères… On laisse son chapeau et sa veste avec une lettre dans sa poche, sur le parapet d’un pont qui enjambe une rivière ; puis, au lieu de se jeter dans l’eau, on s’en va tranquillement en Amérique ou ailleurs. »

Source : Wikipédia.

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