Edith Piaf, chanteuse et actrice.

Édith Piaf serait née au 72, rue de Belleville, d’Anita Maillard, dite Line Marsa, chanteuse, et de Louis Gassion, acrobate antipodiste (c’est-à-dire qui jongle avec les pieds). La légende veut qu’elle ait vu le jour dans la rue, au sein d’une famille misérable. L’acte d’état civil enregistré à la mairie du

XXe arrondissement énonce plus sobrement que l’enfant est née à l’hôpital Tenon. C’est la guerre et le père est absent. Édith passe ses premières années auprès de ses deux grand-mères, l’une Kabyle, habitant Barbès, l’autre demeurant à Bernay, en Normandie, où elle tient une maison de tolérance. À l’âge de douze ans, la petite fille, qui a retrouvé son père, devient sa partenaire, quêtant après ses spectacles de rue. Trois ans plus tard, elle chante toujours dans les rues mais, cette fois, en compagnie de « Momone », Simone Berteaut, sa « soeur adoptive ». La légende raconte encore qu’Édith Gassion aurait signé à la mère de Simone une sorte de contrat d’engagement pour sa fille, lui garantissant le gîte, le couvert et quinze francs par jour. Quelque temps après, Édith s’associe avec les époux Ribon pour former un trio qui se produit dans les casernes parisiennes.

1935-1939. Édith a 20 ans. La vie l’a déjà marquée. Elle a traîné à Pigalle, échappé de peu au trottoir mais, surtout, a perdu une petite fille, Marcelle, morte à deux ans faute de soins. Elle possède cependant tous les atouts de la réussite, sa voix et sa rage de vaincre. C’est Louis Leplée, prince interlope des nuits parisiennes, qui va la porter de la rue, où elle fait la manche, à la scène de son cabaret des Champs-Élysées, où, pour la première fois, elle gagne sa vie en chantant sous un projecteur et sans tendre la main. Désormais, la Môme Piaf – c’est Leplée qui lui a trouvé ce surnom – a besoin d’un répertoire bien à elle, et elle a ses idées sur la question. Très vite, après avoir signé un contrat chez Polydor, elle enregistre ses premières chansons en décembre 1935 (« Les Mômes de la cloche », « La Java de cézigue », « L’Étranger » et « Mon apéro »). À la radio, dès ses premières interviews, elle montre son sens de la promotion et de la réclame.

Edith Piaf, carte maximum, Belgique, 4/12/1999.

Mais Leplée est assassiné au printemps 1936, et Piaf (qui est placée en garde à vue pendant quarante-huit heures) est freinée dans son élan. Jacques Canetti lui donne alors un coup de main et, par son entremise, elle trouve quelques engagements à Paris et en province. Toutefois, il lui faut un nouveau parrain : Raymond Asso surgit alors et devient son véritable pygmalion, mêlant l’amour au métier. Sur une musique de Marguerite

Edith Piaf, entier postal, Russie, 2013.
Edith Piaf, collector de 4 timbres.

Monnot, il offre à la chanteuse son premier succès, « Mon légionnaire », qu’elle refusera d’abord (la chanson sera créée par Marie Dubas) en affirmant que « c’est trop cabaret, et moi je veux faire de la scène ». En revanche, elle adoptera sans réticence « Mon amant de la coloniale » (mai 1936). Raymond Asso va alors la prendre complètement en main, lui apprenant le métier et essayant de la retirer du monde malsain où elle

baigne depuis toujours. Mais la guerre éclate bientôt et Asso part sous les drapeaux. Leur association se termine ainsi. S’il n’aura passé que trois ans auprès de la Môme, Marguerite Monnot, la compositrice, elle, ne la quittera plus.

La situation générale devient dramatique, mais Édith Piaf pense surtout à sa carrière. Bientôt, le poète Jean Cocteau lui donne un rôle au théâtre dans Le Bel indifférent, où elle impose son amant du moment, Paul Meurisse. Les scènes se succèdent, l’Alhambra, Bobino, l’Européen. Plus qu’avec les disques, c’est en public qu’elle s’impose. Elle veut toujours plus. Avant-guerre, la consécration parisienne passe par l’ABC. Asso avait réussi à lui en ouvrir les portes en 1937. À partir de « L’Accordéoniste » (enregistré au printemps 1940, sur des paroles de Michel Emer), chaque nouveau disque, chaque nouvelle salle représente une marche de plus vers une gloire nationale.

Hymne à l’amour, entier postal repiqué, 9/10/1988.

1940-1944. Ni le départ de Raymond Asso, ni l’Occupation n’arrêtent la Môme, qui est devenue définitivement Édith Piaf. Elle repasse à l’ABC, chante en duo avec Paul Meurisse, enchaîne les tournées, réussit l’examen d’auteur-parolière à la SACEM en février 1944, écrit elle-même plusieurs de ses chansons (dont « C’est un monsieur très distingué », « Où sont-ils mes petits copains ? », « C’était un jour de fête », « Un coin tout bleu », « Celui que j’aime a les yeux tristes », « C’était si bon », « Rue sans issue »). Elle effectue même deux déplacements à Berlin (août 1943 et février 1944), qu’on lui reprochera par la suite, mais elle affirmera que c’était d’abord pour les prisonniers français. Elle sera toutefois félicitée à la Libération pour l’aide qu’elle aura apportée à de nombreux amis juifs. Mais la période est marquée par une rencontre. Fin juillet 1944, Yves Montand est entré dans sa vie. Cette fois, c’est elle qui joue le rôle de Pygmalion. Elle met à sa disposition son parolier (et ancien amant) Henri Contet, obligeant celui-ci à donner au jeune talent la chanson « Ma môme », pourtant destinée à Maurice Chevalier…

1945-1952. Édith Piaf a trente ans. Vedette des temps d’Occupation, elle n’est pas éprouvée par les années d’après-guerre. Sa mère, usée par la drogue, meurt le 6 février 1945, à moins de cinquante ans. Mais Édith pense surtout à son tour de chant au Théâtre de l’Étoile avec Montand. Elle était inquiète pour lui ; elle réalise bientôt que c’est à elle de se surpasser pour continuer à emballer la salle déjà conquise par le bel Yves. Elle trouve quand même l’énergie, dans le courant du mois de mai, d’écrire et de composer l’une de ses plus célèbres chansons, « La Vie en rose ». L’idée lui en vient à la terrasse d’un café où son amie, la chanteuse Marianne Michel, lui demande un morceau. Édith écrit sur la nappe de papier : « Quand il me prend dans ses bras / Qu’il me parle tout bas / Je vois les choses en rose… ». Marianne Michel suggère de remplacer « les choses » par « la vie », et le tour est joué. Édith Piaf a aussi une musique dans la tête. N’étant pas enregistrée comme compositeur à la SACEM, il lui faut un prête-nom.

Ce sera le pianiste Marcel Louiguy, qui affirmera cependant avoir été, quelques mois plus tôt avec Piaf, le compositeur du morceau. Peu importe… À l’été 1946, la belle histoire avec Montand s’est arrêtée. La chanteuse s’étourdit dans le travail, fait la connaissance d’un sympathique duo d’artistes nommé Pierre Roche et Charles Aznavour, et les emmène en tournée. Grâce à son imprésario Louis Barrier, celle que l’on nomme déjà Piaf, tout court, s’impose chez Pathé-Marconi, la prestigieuse maison française. Ses disques commencent à être diffusés dans le monde entier. Barrier lui décroche bientôt une première série de récitals en Amérique,

alors que Jean-Louis Jaubert, l’animateur des Compagnons de la Chanson, devient pour un temps l’élu de son coeur. Avec ces drôles de garçons un peu scouts, elle fait carillonner, à partir de 1947, « Les Trois cloches » d’un continent à l’autre sur des paroles de l’auteur suisse Gilles-Jean Vilar. À New-York, les Compagnons rencontrent un tel triomphe qu’ils font de l’ombre à Piaf elle-même, mais la chanteuse s’obstine, apprenant l’anglais, se familiarisant avec les techniques américaines de la scène. Grâce à son acharnement et à « La Vie en rose », elle finit par dompter New York et restera outre-Atlantique comme une des très rares artistes françaises pleinement reconnues.

Les voyages en Amérique se répètent, croisant ceux d’un fameux boxeur français, Marcel Cerdan. Leur ambition et leur combat quotidien pour la gloire les rapprochent. Ils vivent une aventure passionnée, stoppée net par le dramatique accident d’avion qui emporte le boxeur le 27 octobre 1949. Édith Piaf est brisée mais trouve la force, le soir même, de monter sur scène. À la mémoire de son amour disparu, elle écrit une de ses plus belles chansons, sur une musique de Marguerite Monnot, « L’Hymne à l’amour ». Elle ne s’en relèvera jamais complètement, s’adonnant de plus en plus à l’alcool et à la drogue. À l’été 1950, un séduisant Américain vient quelque peu la distraire de sa peine ; il s’appelle Eddie Constantine.

Il l’aidera d’ailleurs lors de sa quatrième « expédition » américaine, quand elle enregistre sur place « Les Feuilles mortes » en anglais (« Autumn Leaves ») et « C’est d’la faute à tes yeux » (adaptée par Eddie Constantine en « Don’t Cry »). En France, le succès ne se dément pas : « L’Hymne à l’amour » et « Padam padam » (d’Henri Contet et Norbert Glanzberg) se vendent autant sous forme de partitions en petit format qu’en disques. Les spectacles se succèdent à l’ABC, l’Olympia, Bobino, la salle Pleyel. En 1952, Édith Piaf se marie pour la première fois avec le chanteur Jacques Pills, récemment divorcé de Lucienne Boyer. La scène se passe à l’Hôtel de ville de New York et Marlene Dietrich est leur témoin. Pills fera tout pour éloigner la chanteuse de ses démons mais l’artiste est déjà très abîmée et le mariage ne tiendra pas plus de trois ans.

Edith Piaf, carte maximum, Paris, 16/06/1990.

1953-1956. Désormais, auteurs et compositeurs de toutes générations, comme Bécaud et Aznavour, s’empressent d’apporter leurs oeuvres à Édith Piaf, qui porte un soin particulier au choix de son répertoire. Dans les années 1950, le disque, promu par le cinéma, devient essentiel pour la carrière d’un artiste. Piaf tourne alors des films prétextes pour elle à chansons, dont Si Versailles m’était conté (1953) de Sacha Guitry et French Cancan (1954) de Jean Renoir. Le public américain la couronne enfin en 1956 lors de son récital historique au Carnegie Hall de New York. Et alors qu’elle règne avec des chansons de facture traditionnelle, comme « La Goualante du pauvre Jean » ou « Sous le ciel de Paris » de Jean Dréjac, Piaf, toujours plus innovante, fait adapter à celui-ci, en 1956, un tube de rock’n’roll américain (« Black Denim Trousers » signé Leiber et Stoller et chanté par The Cheers), qui devient « L’Homme à la moto ». Nouveau succès. Le répertoire, tout comme la vie de celle qu’on appelle désormais Madame Piaf, se maintient dans un paradoxe permanent. L’étoile brille sur la scène quand, dans les coulisses, la femme se consume dans l’enfer des drogues et de la maladie.

1957-1963. Édith a quarante-deux ans. Après une nouvelle tournée triomphale aux États-Unis, elle rentre en France au summum de sa gloire. Elle a divorcé de Jacques Pills. Son appartement du boulevard Lannes, près du Bois de Boulogne, devient une véritable usine à chansons qui fonctionne jour et nuit. Michel Rivgauche, qui a déjà écrit « Ça c’est de la musique » pour Colette Renard, y apparaît, lui offrant « La Foule » sur une valse folklorique péruvienne : c’est un nouveau grand succès.

En 1958, forte d’un répertoire toujours plus riche, Édith Piaf affronte l’Olympia pendant trois mois. Le chanteur Félix Marten, sa nouvelle liaison, figure au programme. Bientôt, il est remplacé par un jeune Grec prénommé Georges et qu’on appelle Jo Moustaki. Celui-ci lui apporte « Milord » sur une musique de Marguerite Monnot, toujours fidèle. La chanson va franchir les frontières et se classer dans les hit-parades qui apparaissent alors dans toute l’Europe. « Mon manège à moi » (signée Jean Constantin et Glanzberg) connaît aussi la faveur du public. Cela ne suffit pas à apaiser la chanteuse. Son amant d’après, le peintre américain Douglas Davis, se sauvera comme l’avait fait Georges Moustaki, devant son despotisme amoureux. Malgré une santé très précaire, la voilà de nouveau sur la scène de l’Olympia. Une salle qu’elle sauve de la faillite par amitié pour Bruno Coquatrix, son directeur, en lui offrant une série de récitals.

Au début de 1960, un jeune compositeur, Charles Dumont, lui apporte sa tendresse et ses derniers grands succès, « Mon Dieu », « Les Mots d’amour », « Non, je ne regrette rien », éclipsant la fidèle Marguerite Monnot. Cette dernière chanson connaît un énorme succès, d’autant que les putschistes d’Alger, en avril 1961, la chantent au moment de se rendre à l’armée après l’échec de leur tentative. Cette période est également marquée par des tournées en Europe du nord qui s’enchaînent avec la sortie de ses disques. Pendant l’hiver 1961, Édith Piaf rencontre Théo, un jeune coiffeur grec qu’elle baptisera Sarapo, qui signifie « je t’aime » en grec.

Il ne la quittera plus. Tour à tour son secrétaire (« parce qu’il a son bachot », dit-elle), puis son manager, elle veut aussi en faire un chanteur. elle l’épouse en octobre 1962, dix ans après son premier mariage. Elle chante en duo avec lui et lui demande même de paraître torse nu en scène. Des coulisses au chevet de ses lits d’hôpitaux, il sera le compagnon des derniers jours. Ensemble, ils chantent « À quoi ça sert l’amour » à l’Olympia et à Bobino. Quand Édith Piaf se produit dans ces salles magiques, le public se lève et l’honore d’ovations qui dépassent les vingt minutes. Ses forces s’épuisent comme sa fortune, car elle ne regarde pas à la dépense. Elle se prête au jeu de la presse à scandale, qui mise sur les drames de sa vie intime, ses accidents de voiture et ses opérations chirurgicales. C’est la fin. Piaf meurt le 11 octobre 1963 ; elle n’a que quarante-huit ans, mais son corps est celui d’une vieille dame qui quitte ce monde le même jour que Jean Cocteau, avec lequel elle entretient sans doute plus d’une ressemblance. Malgré sa piété, Édith Piaf est privée de funérailles religieuses. L’Église n’accepte pas son divorce et L’Osservatore Romano la traite d’« idole du bonheur préfabriqué ». Ses obsèques au Père-Lachaise sont cependant suivies par une foule considérable et, depuis, sa tombe est devenue un lieu de pèlerinage pour de nombreux fidèles à sa mémoire.

Derrière une légende qu’elle contribua à romancer elle-même, Piaf montra toutes les qualités d’une artiste, véritable metteur en scène de son personnage. Portant à la perfection l’économie du geste et de l’effet, jouant même de sa fatigue. Montrant une connaissance parfaite des textes et des musiques qui la servaient, allaient à sa personne comme la petite robe noire qu’elle arborait, robe au décolleté laissant apparaître une croix, témoin de sa foi de charbonnier. Marquée par le pygmalionisme de Leplée, qui la tira de la rue et la baptisa Piaf, de celui de Raymond Asso qui lui redonna un prénom, elle renvoya à son tour l’ascenseur de la gloire à ses auteurs ou compositeurs qu’elle ne manquait jamais d’annoncer avant de chanter leur chanson, objet de ses commandes.

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Sources : Universalmusic, YouTube.

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