Cicéron, homme d’état.

Cicéron naît en 106 av. J.-C., le troisième jour du mois de janvier, à Arpinum, un municipe de citoyenneté romaine du Latium, à 110 km au sud-est de Rome, dans le pays des Volsques, longtemps adversaires redoutables des Romains. Il avait un frère cadet, Quintus. Ils étaient de statut équestre, à la naissance. Sa mère se prénommait Helvia. Il est, par son père, d’une famille plébéienne, la gens des Tullii, élevée au rang équestre sans doute deux générations auparavant. Cette élévation offrait la possibilité d’envisager une carrière politique à Rome pour les générations ultérieures. Cicéron et son frère réalisèrent cette ambition. Cicéron plaisanta à plusieurs reprises sur les ascendances fictives plus prestigieuses qu’on lui prêta comme Servius Tullius ou Manius Tullius Longus.

Son cognomen, Cicero, peut être traduit par « pois chiche, verrue ». Ce cognomen lui viendrait d’un de ses ancêtres dont le bout du nez aurait eu la forme du pois chiche ou qui aurait été marchand de pois chiches.

Son mariage, vers 80, avec Terentia, issue d’une influente famille romaine, les Terentii, lui ouvre la porte de la haute aristocratie romaine pour y nouer alliances et réseau d’amitié (amicitia), ce que son statut d’homo novus rendait indispensable s’il voulait s’élever dans le cursus honorum, la carrière politique.

Il en eut deux enfants, séparés d’une dizaine d’années.

Sa fille Tullia, née au milieu des années 70 av. J.-C., lui fut toujours très chère. Son décès en 45 l’éprouve grandement. Dans sa stratégie politique d’alliance, il réussit à la fiancer dès l’âge de huit ans à un membre de la très influente famille des Calpurnii, de la branche des Frugi. Le mariage a lieu en 63. Après le décès prématuré de son gendre en 57, il scelle une nouvelle alliance par le remariage de sa fille avec un membre de la puissante branche des Dolabella de l’illustre gens patricienne des Cornelii.

Avec son fils Marcus, né en 65, les relations ne furent pas aussi sereines. Cicéron veut en faire un autre lui-même, mais Marcus semble davantage attiré par une carrière militaire, en particulier dans la cavalerie. En 44, Cicéron l’envoie parfaire sa formation philosophico-rhétorique à Athènes. Sa correspondance de l’année 443 le montre très attentif à ses progrès et il mobilise son ami Atticus et son secrétaire Tiron pour que le jeune homme ne manque de rien (et tienne son rang en regard de ses camarades d’étude, fils de la plus haute aristocratie). On l’y voit aussi questionner ses relations de passage à Athènes quant au comportement de son fils, preuve qu’il avait des doutes. Quelques mois plus tard, Cicéron rédige son De Officiis qu’il lui dédie.

Le divorce d’avec Terentia en 47/46, couplé au décès de Tullia en 45, le mit dans une posture financière critique à la fin de l’automne 44, au moment précis où il se lançait dans son dernier combat politique, contre Antoine. Il devait en même temps rembourser la dot de Terentia par annuités et se faire rembourser celle de Tullia de la même façon. Or Dolabella ne s’acquittait pas. La correspondance avec Atticus atteste sa hantise d’être mis en défaut.

Cicéron et son frère Quintus sont envoyés à Rome pour étudier. Le poète Archias les forme aux classiques grecs Homère et Ménandre. L’initiation aux activités publiques se fait comme auditeur des personnalités les plus actives du forum. Ainsi Cicéron fréquente assidûment les orateurs Crassus puis Antoine et le jurisconsulte Scævola l’Augure.

La guerre sociale éclate pendant cette période de formation. Cicéron s’engage dans l’armée à 17 ans, une obligation pour qui veut faire ensuite une carrière publique : il se trouve sous les ordres du consul Pompeius Strabo, puis de Sylla ; c’est vraisemblablement à cette époque qu’il fait la connaissance de Pompée, fils de Strabo, qui a le même âge que lui. Peu désireux de faire une carrière militaire, il quitte l’armée à la fin du conflit en 88 av. J.-C. et revient à ses études, tandis que les vainqueurs de la guerre civile Marius et Sylla se disputent le pouvoir.

Après la mort de Scævola l’Augure, Cicéron poursuit l’étude du droit avec son cousin Quintus Scævola le pontife. Le stoïcien Aelius Stilo lui transmet son intérêt pour le passé et la langue de Rome. Sa formation philosophique est assurée en grec par des philosophes que la guerre contre Mithridate VI oblige à s’installer à Rome : après l’épicurien Phèdre, Cicéron travaille la dialectique avec le stoïcien Diodote et suit les enseignements de l’académicien Philon de Larissa. Philon a la particularité de combiner la philosophie et la rhétorique grecque, spécialités habituellement professées par des maîtres différents, et pratique comme Carnéade avant lui la discussion selon les points de vue opposés pour approcher la vérité. Cicéron se passionne pour sa philosophie, comme il le confiera sur la fin de sa vie.

Cicéron fait un début remarqué comme avocat en 81 av. J.-C. avec une affaire complexe de succession, le Pro Quinctio. En 79 av. J.-C., il défend Sextus Roscius, accusé de parricide ; soutenu par les Caecilii Metelli, une des grandes familles de la nobilitas, il s’attaque à un affranchi du dictateur romain Sylla, tout en veillant à épargner ce dernier. Il gagne le procès mais s’éloigne quelque temps de Rome pour parfaire sa formation en Grèce, de 79 à 77 av. J.-C. À Athènes, où il se lie d’amitié avec son compatriote Atticus, il suit l’enseignement d’Antiochos d’Ascalon, académicien comme Philon de Larissa mais plus dogmatique, des épicuriens Zénon de Sidon et Phèdre, et du savant stoïcien Posidonius d’Apamée. Puis, à Rhodes, de 78 à 77 av. J.-C., il perfectionne sa diction auprès du célèbre rhéteur Molon. Plutarque rapporte qu’à son premier exercice, Cicéron impressionne son maître par sa maîtrise de l’expression grecque et la qualité de son argumentation. De Molon, Cicéron apprend à maîtriser sa voix sans les excès qui l’épuisent. Il a participé aux Mystères d’Eleusis.

À la fin de cette période de formation, tant oratoire qu’intellectuelle et philosophique, Cicéron revient à Rome et reprend son activité d’avocat, ce qui entretient sa réputation et développe ses relations. Ses contacts avec la nobilitas lui permettent d’épouser la riche et aristocratique Terentia. Elle lui donne une fille, Tullia, et un fils, Marcus, peu avant son consulat.

Ayant atteint l’âge minimum légal de 30 ans pour postuler aux magistratures, Cicéron se lance dans la carrière politique : en 75 av. J.-C., il entame le cursus honorum en étant élu questeur, fonction qu’il exerce à Lilybée en Sicile occidentale, et qui lui ouvre l’admission au Sénat. Il acquiert sa célébrité en août 70 av. J.-C. en défendant les Siciliens dans leur procès contre Verrès, ancien propréteur de Sicile qui est impliqué dans des affaires de corruption, et qui a mis en place un système de pillage d’œuvres d’art. Tandis que Verrès tente, en achetant les électeurs, de faire échouer la candidature de Cicéron à l’édilité, ce dernier recueille de nombreuses preuves en Sicile tout en se faisant élire édile. En août 70, l’accusation portée par Cicéron est si vigoureuse et si bien soutenue par un imposant défilé de témoins à charge que Verrès, qui va pourtant être défendu par le plus grand orateur de l’époque, le célèbre Hortensius, s’exile à Marseille immédiatement après le premier discours (l’actio prima). Cicéron fait malgré tout publier l’ensemble des discours qu’il a prévus (les Verrines), afin d’établir sa réputation d’avocat engagé contre la corruption.

Après cet événement qui marque véritablement son entrée dans la vie judiciaire et politique, Cicéron suit les étapes du cursus honorum comme édile en 69 av. J.-C. Les Siciliens le remercient par des dons en nature, qu’il emploie au ravitaillement de Rome, faisant ainsi baisser le prix du blé, et augmentant sa popularité16. Il devient préteur en 66 av. J.-C. : il défend cette année-là le projet de loi du tribun de la plèbe Manilius, qui propose de nommer Pompée commandant en chef des opérations d’Orient, contre Mithridate VI ; son discours De lege Manilia marque ainsi une prise de distance par rapport au parti conservateur des optimates, qui sont opposés à ce projet. À cette époque, il suit les cours de Gnipho ; dès cette époque, il songe à incarner une troisième voie en politique, celle des viri boni (« hommes de bien »), entre le conservatisme des optimates et le « réformisme » de plus en plus radical des populares. Pourtant, de 66 av. J.-C. à 63 av. J.-C., l’émergence de personnalités comme César ou Catilina dans le camp des populares, qui prônent des réformes radicales, conduit Cicéron à se rapprocher des optimates.

Désormais proche du parti conservateur, Cicéron est élu pour l’année 63 av. J.-C. consul contre le démagogue Catilina, grâce aux conseils de son frère Quintus Tullius Cicero. Il est le premier consul homo novus (élu n’ayant pas de magistrats curules parmi ses ancêtres) depuis plus de trente ans, ce qui déplaît à certains : « Les nobles […] estimaient que le consulat serait souillé si un homme nouveau, quelque illustre qu’il fût, réussissait à l’obtenir. »

Durant son consulat, il s’oppose au projet révolutionnaire du tribun Rullus pour la constitution d’une commission de dix membres aux pouvoirs étendus, et le lotissement massif de l’ager publicus. Cicéron gagne la neutralité de son collègue le consul Antonius Hybrida, ami de Catilina et favorable au projet, en lui cédant la charge de proconsul de Macédoine qu’il doit occuper l’année suivante. Son discours De lege agraria contra Rullum obtient le rejet de cette proposition.

Pour protéger l’approvisionnement de Rome et sécuriser son port Ostie des menaces des pirates, Cicéron lance les travaux de réfection des murailles et des portes d’Ostie, qui seront achevés par Clodius Pulcher en 58 av. J.-C.

Catilina, ayant de nouveau échoué aux élections consulaires en octobre 63 av. J.-C., prépare un coup d’État, dont Cicéron est informé par des fuitesnote 6. Le 8 novembre, il apostrophe violemment Catilina en pleine session du Sénat. On cite souvent la première phrase de l’exorde de la première Catilinaire : Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra ? (« Jusqu’à quand, Catilina, abuseras-tu de notre patience ? »), et c’est dans ce même passage — même si ce n’est pas le seul endroit dans l’œuvre de Cicéron — que l’on trouve l’expression proverbiale O tempora ! O mores ! (Quelle époque ! Quelles mœurs !). Découvert, Catilina quitte Rome pour fomenter une insurrection en Étrurie, confiant à ses complices l’exécution du coup d’État à Rome. Le lendemain, Cicéron informe et rassure la foule romaine en prononçant sa deuxième Catilinaire, et promet l’amnistie aux factieux qui abandonneront leurs projets criminels. Puis il parvient à faire voter par le Sénat romain un senatus consultum ultimum (procédure exceptionnelle votée lors de crises graves, et qui donne notamment à son(ses) bénéficiaire(s) le droit de lever une armée, de faire la guerre, de contenir par tous les moyens alliés et concitoyens, et d’avoir au-dedans et au-dehors l’autorité suprême, militaire et civile).

Mais un scandale politique vient soudain compliquer la crise : le consul désigné pour 62 av. J.-C., Lucius Licinius Murena, est accusé par son concurrent malheureux Servius Sulpicius Rufus d’avoir acheté les électeurs, accusation soutenue par Caton d’Utique. Pour Cicéron, il est hors de question, dans un tel contexte, d’annuler l’élection et d’en organiser de nouvelles. Il assure donc la défense de Murena (pro Murena) et le fait relaxer, malgré une probable culpabilité, en ironisant sur la rigueur stoïcienne qui mène Caton sur des positions disproportionnées et malvenues : si « toutes les fautes sont égales, tout délit est un crime ; étrangler son père n’est pas se rendre plus coupable que tuer un poulet sans nécessité ».

Dans l’intervalle, les conjurés restés à Rome s’organisent et recrutent des complices. Par hasard, ils contactent des délégués allobroges, promettant de faire droit à leurs plaintes fiscales s’ils suscitent une révolte en Gaule narbonnaise. Les délégués, méfiants, avertissent les sénateurs. Cicéron leur suggère d’exiger des conjurés des engagements écrits, qu’ils obtiennent. Ayant récupéré ces preuves matérielles indiscutables, Cicéron confond publiquement cinq conjurés (troisième Catilinaire, du 3 décembre), dont l’ancien consul et préteur Publius Cornelius Lentulus Sura. Après débat au Sénat (quatrième Catilinaire), il les fait exécuter sans jugement public, approuvé par Caton mais contre l’avis de Jules César, qui a proposé la prison à vie. Catilina est tué peu après avec ses partisans dans une vaine bataille à Pistoia.

Dès lors, Cicéron s’efforce de se présenter comme le sauveur de la patrie (il fut d’ailleurs qualifié de Pater patriae, « Père de la patrie », par Caton d’Utique) et, non sans vanité, fait en sorte que personne n’oublie cette glorieuse année -63. Pierre Grimal estime toutefois que ce trait d’orgueil est dû à un manque de confiance en soi et tient plus de l’inquiétude que de l’arrogance.

La mort décrite de Cicéron ne repose pas sur l’exactitude historique, les récits se contredisent. On est plus dans la rhétorique et la mise en scène. En fait, les biographes appliquent des colores, des éléments historiques qu’on déforme et qu’on manipule pour servir des intérêts esthétiques ou  moralisants, dans ce cas, la dévotion, la pietas, la trahison, le fait de ne pas accabler les tueurs… Il est fort probable que les récits brodent à partir du fait brut de l’exécution. La mort de Quintus et de son fils (narrée par deux récits contradictoires et tardifs de Dion Cassius et Appien, qui de plus partagent des réminiscences avec l’exécution de Marcus) repose sur le même principe.

Le culte de la mort honorable et héroïque est très fort dans la Rome antique et tout homme sait qu’il est aussi jugé sur son attitude, ses poses ou ses propos lors de ses derniers moments. En fonction de leurs intérêts politiques ou de leur admiration envers Cicéron, ses biographes ont parfois considéré sa mort comme exemple de lâcheté (Cicéron est assassiné alors qu’il est en fuite) ou plus souvent, au contraire, comme un modèle d’héroïsme stoïque (il tend son cou à son bourreau, qui ne peut supporter son regard).

Source : Wikipédia.

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