Charles Dickens, romancier.

Charles John Huffam Dickens, né à Landport, près de Portsmouth, dans le Hampshire, comté de la côte sud de l’Angleterre, le 7 février 1812 et mort à Gad’s Hill Place à Higham dans le Kent, le 9 juin 1870 (à 58 ans), est considéré comme le plus grand romancier de l’époque victorienne. Dès ses premiers écrits, il est devenu immensément célèbre, sa popularité ne cessant de croître au fil de ses publications.

L’expérience marquante de son enfance, que certains considèrent comme la clef de son génie, a été, peu avant l’incarcération de son père pour dettes à la Marshalse, son embauche à douze ans chez Warren où il a collé des étiquettes sur des pots de cirage pendant plus d’une année. Bien qu’il soit retourné presque trois ans à l’école, son éducation est restée sommaire et sa grande culture est essentiellement due à ses efforts personnels.

Il a fondé et publié plusieurs hebdomadaires, composé quinze romans majeurs, cinq livres de moindre envergure (novellas en anglais), des centaines de nouvelles et d’articles portant sur des sujets littéraires ou de société. Sa passion pour le théâtre l’a poussé à écrire et mettre en scène des pièces, jouer la comédie et faire des lectures publiques de ses œuvres qui, lors de tournées souvent harassantes, sont vite devenues extrêmement populaires en Grande-Bretagne et aux États-Unis.

Charles Dickens a été un infatigable défenseur du droit des enfants, de l’éducation pour tous, de la condition féminine et de nombreuses autres causes, dont celle des prostituées.

Il est apprécié pour son humour, sa satire des mœurs et des caractères. Ses œuvres ont presque toutes été publiées en feuilletons hebdomadaires ou mensuels, genre inauguré par lui-même en 1836 : ce format est contraignant mais il permet de réagir rapidement, quitte à modifier l’action et les personnages en cours de route. Les intrigues sont soignées et s’enrichissent souvent d’événements contemporains, même si l’histoire se déroule antérieurement.

Publié en 1843, Un chant de Noël a connu un vaste retentissement international, et l’ensemble de son œuvre a été loué par des écrivains de renom, comme William Makepeace Thackeray, Léon Tolstoï, Gilbert Keith Chesterton ou George Orwell, pour son réalisme, son esprit comique, son art de la caractérisation et l’acuité de sa satire. Certains, cependant, comme Charlotte Brontë, Virginia Woolf, Oscar Wilde ou Henry James, lui ont reproché de manquer de régularité dans le style, de privilégier la veine sentimentale et de se contenter d’analyses psychologiques superficielles.

Dickens a été traduit en de nombreuses langues, avec son aval pour les premières versions françaises. Son œuvre, constamment rééditée, connaît toujours de nombreuses adaptations au théâtre, au cinéma, au music-hall, à la radio et à la télévision.


Issu d’une famille peu fortunée, Charles Dickens est né au 13, Mile End Terrace à Landport, petit faubourg de Portsmouth, Portsea, le vendredi 7 février 1812. Il est le second des huit enfants, mais le premier fils, de John Dickens (1785-1851) et d’Elizabeth Dickens, née Barrow (1789-1863). Il est baptisé le 4 mars en l’église St Mary, Kingston, Portsea. Son père est chargé de faire la paye des équipages au Navy Pay Office de la Royal Navy, mais, après Waterloo et la fin de la guerre en Amérique, les effectifs de la base navale sont réduits, et il est alors muté à Londres. En janvier 1815, il s’installe dans Norfolk Street, près d’Oxford Street. Charles, de son bref séjour à Portsmouth, retient quelques souvenirs, dont une prise d’armes. De Londres, que l’enfant fréquente de trois à quatre ans, il gardera l’image d’une visite à Soho Square, le souvenir d’un achat : une baguette d’Arlequin1. En avril 1817, une nouvelle mutation envoie la famille à l’arsenal de la Medway à Chatham dans le Kent. La famille y emménage au 2, Ordnance Street, dans une demeure confortable, avec deux domestiques, la jeune Mary Weller, nurse de l’enfant, et Jane Bonny, d’un âge déjà avancé.

Bientôt, après avoir fréquenté l’école du dimanche avec sa sœur Fanny, dont il est très proche10, il est inscrit à l’institution de William Giles, fils d’un pasteur d’obédience baptiste, qui le trouve brillant11 ; Charles lit les romans de Henry Fielding, Daniel Defoe et Oliver Goldsmith, qui resteront ses maîtres. La fratrie est heureuse malgré les décès prématurés : outre « Charley », la sœur aînée Frances (Fanny) (1810-1848), et les plus jeunes, Alfred Allen, mort à quelques mois, Letitia Mary (1816-1893), Harriet, elle aussi décédée enfant, Frederick William (Fred) (1820-1868), Alfred Lamert (1822-1860) et Augustus (1827-1866), à qui s’ajoutent James Lamert, un parent, et Augustus Newnham, orphelin de Chatham. Les plus grands s’adonnent à des jeux de mime, des récitals de poésie, des concerts de chants populaires et aussi des représentations théâtrales. L’enfant est libre de parcourir la campagne, seul ou lors de longues promenades avec son père ou Mary Weller, alors âgée de treize ans, plus rarement en compagnie de Jane Bonny1, ou d’observer l’activité de la ville portuaire. Plus tard, dans ses descriptions de paysages ruraux, ce sont les images du Kent qu’il prend pour modèle. « Cette période, a-t-il écrit, a été la plus heureuse de mon enfance » : c’est d’ailleurs à Chatham que Charles fait ses débuts littéraires en écrivant des saynètes qu’il joue dans la cuisine ou debout sur une table de l’auberge voisine.

Cette vie insouciante et ce début d’instruction s’interrompent brutalement lorsque la famille doit gagner Londres avec une réduction de salaire, prélude à la déchéance financière. Charles, âgé de dix ans, reste à Chatham quelques mois chez William Giles, puis rejoint la capitale, laissant du voyage ce souvenir désabusé : « Tout au long de ces années depuis écoulées, ai-je jamais perdu l’odeur humide de la paille où l’on m’a jeté, tel un gibier, et acheminé, franco de port, jusqu’à Cross Keys, Wood Street, Cheapside, Londres ? Il n’y avait pas d’autre passager à l’intérieur et j’ai englouti mes sandwichs dans la solitude et la grisaille, et la pluie n’a cessé de tomber, et j’ai trouvé la vie bien plus moche que je ne m’y attendais. »

Cette chute doit être nuancée au regard du contexte familial, représentatif de la petite bourgeoisie victorienne. Les grands-parents paternels ont été des domestiques au sommet de la hiérarchie, gouvernante de maison et maître d’hôtel, ce qui leur vaut le respect de leurs maîtres. Dans La Maison d’Âpre-Vent, Sir Lester Dedlock n’a de cesse de louer Mrs Rouncewell, sa gouvernante à Chesney Wold.

Cette petite prospérité et l’influence dont ils jouissent ont servi de tremplin à l’ascension sociale de leur fils John. Son travail représente une situation enviable dans la bureaucratie victorienne, avec plusieurs promotions et un salaire annuel passant de 200 £ en 1816 à 441 £ en 1822. C’est un bon métier, un emploi permanent, avec la faveur des supérieurs, acquise par l’assiduité et la compétence. Bien résolu à gravir l’échelle sociale mais « inconsidérément imprévoyant » selon Peter Ackroyd, il s’avère incapable de gérer son argent. En 1819, il a déjà contracté une dette de 200 £, représentant presque la moitié de ses émoluments annuels, et cause d’une brouille avec son beau-frère qui s’est porté garant ; d’autres dettes sont en suspens à Chatham, d’où une descente aux enfers qu’aggravent des déménagements, une mutation mal payée à Londres, ville onéreuse, entraînant de nouvelles dettes et un train de vie peu à peu réduit à néant. En 1822, les Dickens se sont installés à Camden Town, la limite de la capitale, et John Dickens place ses espoirs dans le projet qu’a son épouse d’ouvrir un établissement scolaire. Aussi la famille déménage-t-elle de nouveau à Noël 1823 au 4, Gower Street, demeure cossue susceptible d’accueillir des élèves en résidence. L’école, cependant, n’attire personne et, au bout de quelques semaines, les revenus sombrent jusqu’à la misère5.

Tandis que sa sœur aînée entre au Conservatoire de musique où elle va étudier jusqu’en 1827, Charles, âgé de douze ans et regrettant l’école, passe son temps à « nettoyer des bottines ». James Lamert construit un théâtre miniature, de quoi enflammer l’imagination, comme les visites au parrain Huffam qui approvisionne les bateaux, ou à l’oncle Barrow au-dessus d’une librairie dont le barbier est le père de Turner, ou encore à la grand-mère Dickens qui offre une montre en argent et dit des contes de fées et des pans d’histoire, sans doute utilisés dans Barnaby Rudge (les émeutes de Gordon) et Le Conte de deux cités (la Révolution française). Quinze mois plus tard, la vie de Charles bascule d’un coup et se trouve à jamais bouleversée.

Au début de 1824, James Lamert propose un emploi pour le jeune garçon, offre que ses parents saisissent avidement, et Charles entre à la manufacture Warren’s Blacking Factory à Hungerford Stairs, dans le Strand. C’est un entrepôt de cirage et teinture où il doit, dix heures par jour, coller des étiquettes sur des flacons pour 6 shillings par semaine, de quoi aider sa famille et payer son loyer chez Mrs Ellen Roylance, une amie ensuite immortalisée, avec « quelques changements et embellissements », en la Mrs Pipchin de Dombey et Fils. Il loue ensuite une sombre mansarde chez Archibald Russell dans Lant Street à Southwark. Archibald Russell, « vieux monsieur corpulent, raconte John Forster, d’un naturel heureux, pétri de bonté, avec une épouse déjà âgée et calme, et un fils adulte particulièrement naïf », travaille comme clerc au tribunal de l’insolvabilité : cette famille a sans doute inspiré les Garland du Magasin d’antiquités, tandis que le tribunal a été copié dans les scènes du procès des Papiers posthumes du Pickwick Club.

En 1825, Charles retrouve l’école à la Wellington School Academy de Hampstead Road, où il étudie quelque deux ans et obtient le prix de latin. L’institution n’a pas été de son goût : « Bien des aspects, écrit-il, de cet enseignement à vau-l’eau, tout décousu, et du relâchement de la discipline ponctués par la brutalité sadique du directeur, les appariteurs en guenilles et l’atmosphère générale de délabrement sont représentés dans l’établissement de Mr Creakle. »

Là s’arrête son instruction officielle, car, en 1827, il entre dans la vie active, ses parents lui ayant obtenu un emploi de clerc au cabinet d’avocats Ellis and Blackmore, de Holborn Court, Gray’s Inn, où il travaille de mai 1827 à novembre 1828 à des tâches fastidieuses mais, écrit Michael Allen, « qu’il saura mettre à profit dans son œuvre ». Il rejoint ensuite le cabinet de Charles Molloy dans Lincoln’s Inn. Trois mois après, à tout juste dix-sept ans, il fait preuve, selon Michael Allen, d’une grande confiance en soi puisqu’il se lance, vraisemblablement sans l’aval de ses parents, dans la carrière de reporter sténographe indépendant à Doctors’ Commons où il partage un cabinet avec un cousin éloigné, Thomas Carlton. Avec l’aide de son oncle J. H. Barrow, il a appris la sténographie selon la méthode Gurney, décrite dans David Copperfield comme « ce sauvage mystère sténographique », et dans une lettre à Wilkie Collins du 6 juin 1856, il rappelle qu’il s’y est appliqué dès l’âge de quinze ans avec une « énergie céleste ou diabolique » et qu’il a été le « meilleur sténographe du monde ». Dès 1830, outre les dossiers de Doctors’ Commons, il ajoute « à son répertoire »32 des chroniques des débats tenus à la Chambre des communes pour le Mirror of Parliament et le True Sun. Au cours des quatre années qui suivent, il se forge une solide réputation, passant bientôt pour l’un des meilleurs reporters, ce qui lui vaut d’être embauché à temps plein par le Morning Chronicle. Cette expérience juridique et journalistique a été mise à profit dans Nicholas Nickleby, Dombey et Fils, et surtout La Maison d’Âpre-Vent, dont la féroce satire des lenteurs judiciaires a attiré l’attention publique sur le fardeau que représente pour les humbles le fait d’aller devant les tribunaux.

Les premières pages de Dickens paraissent dans le Monthly Magazine de décembre 1833, à quoi s’ajoutent six numéros, cinq non signés et le dernier, d’août 1834, signé du pseudonyme Boz. Leur originalité attire l’attention du Morning Chronicle, dont le critique musical et artistique est George Hogarth, père de la jeune Catherine dont Charles vient de faire la connaissance ; le nouvel écrivain y est embauché pour 273 £ par an. Le Morning Chronicle publie bientôt cinq « esquisses de rue » sous le même pseudonyme, et leur originalité paraît telle que la revue-sœur, l’Evening Chronicle, que George Hogarth a rejointe, accepte l’offre de vingt autres avec une augmentation de salaire qui passe de 5 à 7 guinées par semaine. Le succès est immédiat, et lorsque la série prend fin en septembre 1835, Dickens se tourne vers le Bell’s Life in London, qui le paie encore mieux. Peu après, l’éditeur John Macrone propose de publier les esquisses en volume avec des illustrations de George Cruikshank, offre assortie d’une avance de 100 £ et aussitôt acceptée.

1835 est une année faste : en février paraît la première série de Esquisses de Boz et immédiatement, Chapman and Hall propose à Dickens Les Papiers posthumes du Pickwick Club en vingt épisodes, le premier démarrant le 31 mars. En mai, il accepte d’écrire un roman en trois volumes pour Macrone et, trois mois plus tard, il s’engage pour deux autres auprès de Richard Bentley. Onze nouvelles esquisses sont publiées, surtout dans le Morning Chronicle, auxquelles s’ajoutent un pamphlet politique, Sunday under Three Heads, et deux pièces de théâtre, The Strange Gentleman en septembre et The Village Coquette en décembre. En novembre, il prend la charge du mensuel Bentley’s Miscellany, et, le mois suivant, paraît une deuxième série des Esquisses. Pendant ce temps, l’histoire de Mr Pickwick devient si populaire que la réputation de Dickens atteint le zénith, ses finances prospèrent et son autorité grandit. Le revers de la médaille est que les engagements ne peuvent tous être honorés et que s’ensuivent d’interminables négociations avec les éditeurs, souvent assorties de brouilles. Dickens décide alors de se consacrer entièrement à la littérature et démissionne du Morning Chronicle. Le couronnement de ce tourbillon est la rencontre, en décembre 1836, de John Forster, auteur, critique, conseiller littéraire, bientôt l’ami intime, le confident et futur premier biographe.

En 1850, Dickens se fait prendre en photographie pour la première fois sur un daguerréotype d’Antoine Claudet : image d’un homme respectable, solide, rasé de près, sévère de visage et élégant dans sa tenue, un portrait d’homme d’affaires ; il y paraît grand, bien qu’il ne mesure que cinq pieds et huit pouces, soit 1,72 m ; une certaine solennité imprègne ses traits, qui se durciront en un vieillissement prématuré. Les deuils, indépendamment des tracas, se succèdent dans sa vie : perte de sa sœur Fanny à trente-huit ans en 1848, bientôt suivie par celles de sa petite Dora en 1850, puis de son père en 1851. C’est une époque d’introspection où il commence à écrire une autobiographie, puis se confie à la première personne dans David Copperfield, « de tous mes livres, celui que j’aime le plus », dont le décryptage ne s’est fait qu’après la parution de la biographie de John Forster.

Auparavant, en 1843, il s’est s’inscrit dans le cœur des foules avec Un chant de Noël, sujet déjà abordé dans ses Esquisses de Boz et Les Papiers posthumes du Pickwick Club, mais qui, avec Tiny Tin, Scrooge, les Fantômes de Noël Passé, Présent et Futur, promeut sa renommée à l’universalité. Petit livre d’emblée proposé à la scène, restant à ce jour le plus adapté de tous, il associe Noël et Dickens dans la conscience collective, d’autant que, de 1850 à 1867, chaque fin d’année apporte sa nouvelle offrande.

De 1846 à 1858, en collaboration avec Angela Burdett-Coutts (1814-1906), il crée Urania Cottage, établissement destiné à recueillir les femmes dites « perdues », réalisation qui, au cours des douze années de sa gestion, permet à une centaine de pensionnaires de se réinsérer dans la société. Contrairement aux autres institutions de ce type fondées sur la répression, il choisit d’éduquer par la lecture, l’écriture, la gestion du foyer et surtout un métier. Tout en les coupant de leur milieu, il entend métamorphoser « comme magiquement » les exclues par des habitudes et des principes nouveaux, expérience, écrit Jenny Hartley, qui « aura été comme écrire un roman, mais avec de vraies personnes ».

De tout temps, Dickens a pris plaisir à la scène. Chez ses parents à Bentinck House, il crée une petite compagnie familiale, et au Queen’s Theatre de Montréal en 1842, il aide les officiers de la garnison, The Goldstream Guards, à monter un spectacle2. En 1845, puis dans les années 1850, rassemblant acteurs professionnels et amis, il se lance dans la mise en scène et la production, prenant même part, en capitaine Bobadill, au Every Man in his Humour de Ben Jonson au Royalty Theatre, 73 Dean Street, Soho. Décor, jeu des acteurs, accessoires, maquillage, costumes, il se plaît devant le public120, sa troupe attire l’attention et est souvent demandée à Londres et en province (Birmingham, Manchester, Liverpool), en Écosse (Édimbourg, Glasgow). En 1851, Les Joyeuses Commères de Windsor de Shakespeare s’ajoute au répertoire et une nouvelle pièce d’Edward Bulwer-Lytton, Not so Bad as We Seem, est donnée devant plus de 1 200 spectateurs à Sunderland où, le nouveau théâtre étant réputé peu sûr, Dickens place Catherine et Georgina loin de la scène. Chaque fois, quelques courtes farces sont données en bis, où Dickens, changeant rapidement de costume, incarne plusieurs personnages, tout cela dans la joie et sans but lucratif, les entrées allant à des œuvres de charité, surtout la Guild of Literature and Art, fondée avec Lytton pour les acteurs nécessiteux. Même la reine Victoria est conquise et fait savoir au printemps de 1857 qu’elle aurait plaisir à assister à une représentation de The Frozen Deep.

1851 est l’année où Dickens acquiert Gad’s Hill Place près de Rochester, au portail de laquelle Charles et son père s’étaient arrêtés avec envie quelque trente ans auparavant. La région, « lieu de naissance de son imagination », devient une nouvelle source d’inspiration : Chatham, Rochester, les marais environnants servent de décor pour Les Grandes Espérances (1860-1861) ; Rochester est le Cloisterham du Mystère d’Edwin Drood, et plusieurs essais du The Uncommercial Traveller, dont « Dullborough Town » et » Chatham Dockyard », y sont également situés.

Le journalisme a été l’une des activités fondatrices de Dickens : en 1845, il participe au lancement du Daily News, à vocation libérale, publié par Bradbury and Evans et dirigé par d’anciens collaborateurs, entre autres John Forster et George Hogarth, W. H. Wills, Mark Lemon et Douglas Jerrold. Bientôt, Dickens en devient brièvement le rédacteur en chef avec l’énorme rémunération annuelle de 2 000 £, et, bonus ajouté, son propre père est placé à la tête des reporters. Alors qu’il travaille à David Copperfield, il conçoit et met en œuvre Household Words et, contrairement à ses passages au Bentley’s Miscellany, L’Horloge de Maître Humphrey ou au Daily News, il s’occupe jusqu’à sa mort de ses propres revues, Household Words changeant de titre en 1859 pour devenir All the Year Round. Avec l’aide du rédacteur adjoint W. H. Wills, de Wilkie Collins qu’il rencontre en 1851 et d’autres jeunes écrivains, les décennies 1850 et 1860 sont fertiles en événements journalistiques que Dickens relaie auprès d’un public friand de qualité, les ventes grimpant au moment de Noël à 100 000 pour Household Words, 300 000 pour All the Year Round. Sa passion journalistique s’est transmise à son fils aîné Charley qui, après le décès de son père, a poursuivi la rédaction et la gestion de la revue jusqu’en 1888.

Vers la fin de sa vie, Dickens proclame la haute idée qu’il se fait de sa vocation : « Lorsque je me suis d’abord engagé en littérature en Angleterre, j’ai calmement résolu en mon for intérieur que, réussite ou échec, la littérature serait ma seule profession […] J’ai passé un contrat avec moi-même, selon quoi, à travers ma personne, la littérature se dresserait, en soi, pour soi et par soi. » Si Dickens a toujours tenu, et le plus souvent avec brio, à donner cette image d’un homme dévoué au service des lettres et des lecteurs, parfois, note John Drew, lors de ses démêlés avec les éditeurs, le caractère impérieux de son tempérament a pris le pas sur sa « calme résolution » : ainsi en témoigne le dernier numéro de Household Words fondant All the Year Round, a contrario aussi éloquent que les solennelles déclarations publiques.

La passion de Dickens pour la scène, la popularité dont il jouit, l’incitent à entreprendre des lectures publiques de ses œuvres. Il commence, lors de manifestations caritatives, par se produire devant de petits groupes d’amis, puis s’essaie à des auditoires plus vastes. À partir de 1858, le succès est tel qu’il entreprend d’en tirer profit et, jusqu’à la fin de sa vie, ces récitals constituent une part majeure de ses activités118. D’après un témoin de l’époque, « sa lecture n’est pas seulement aussi bonne qu’une pièce, elle est meilleure que la plupart d’entre elles, car sa performance d’acteur atteint les sommets ». Entre avril 1858 et février 1859, il donne cent-huit représentations, ce qui lui rapporte 1 025 £, c’est-à-dire presque la moitié de ses gains littéraires qui ne dépassent pas 3 000 £ par an. Au-delà de l’aspect financier, cependant, la passion qui l’habite lorsqu’il est devant un auditoire est telle qu’elle devient quasi obsessionnelle, qu’il entre comme en transe et que la salle est transportée d’enthousiasme, Dickens, selon les témoins, la tenant sous son charme, exerçant une puissante fascination. Il sillonne l’Angleterre, l’Écosse, l’Irlande, et plus ses tournées se prolongent, plus grandit le nombre des auditeurs118. Ses lettres sont gonflées de fierté, et George Dolby, devenu son agent, écrit qu’« en dehors des bénéfices financiers, le plaisir qu’il ressent dépasse l’ordre des mots ». Les témoins sont unanimes pour rendre hommage à cette maîtrise, au talent de lecteur, au génie de la déclamation : hypnotisme, charme, sens aigu de la mise en scène, tels sont les mots relevés, et le geste accompagne la parole, le suspense se voit savamment ménagé, les effets de voix restent saisissants. Même Mark Twain, au départ sceptique et irrité de « l’emphase très anglaise du personnage », cède à ce qu’il appelle « la splendide mécanique. J’avais presque l’impression que je voyais les roues et les poulies à l’œuvre ». Birmingham, Sunderland, Édimbourg, ses élans de bonheur à tant de gloire se succèdent : « J’ai vraiment beaucoup de succès » ; « Je n’ai jamais contemplé d’auditoire sous un tel charme » ; « Le triomphe que j’y ai reçu dépasse tout ce que j’ai connu. La cité a été prise d’assaut et emportée », etc.178. À Belfast, on l’arrête dans la rue, le couvre de fleurs, ramasse les pétales qu’il a touchés ; les hommes pleurent, autant et même plus que les femmes.

Charles Dickens, entier postal, Tchéquie.

À la fin des années 1860, parents et amis s’inquiètent de la fatigue qui s’abat sur Dickens lors de ses tournées qui, comme tout ce qu’il entreprend, se passent dans un comble d’excitation. Son rendu du meurtre de Nancy par Sikes dans Oliver Twist, en particulier, qui mesmérise le public, le laisse pantelant d’épuisement, et son fils Charley le met en garde : « Je n’ai jamais rien entendu de plus beau, mais ne le faites plus. » À cela s’ajoute le traumatisme de devoir prendre le train, ce qui, depuis l’accident de Staplehurst, lui est de plus en plus pénible. Son médecin personnel, le docteur Francis Carr Beard, dont les notes signalent des emballements cardiaques alarmants, surtout pendant la scène d’Oliver Twist, finit par lui interdire ces récitals. Dickens passe outre, part pour une nouvelle tournée américaine en 1867, et une autre en octobre 1868 sur les routes anglaises. Il en revient à bout de forces après soixante-quatorze représentations sur les cent prévues. Désormais, dans la quiétude de Gad’s Hill Place, souvent avec Ellen Ternan, il se consacre à son dernier roman et trouve quelque repos. En bonne vedette qu’il est, cependant, et contre l’avis de tous, il insère dans son emploi du temps douze récitals d’adieu à Londres fin 1869 et les derniers de janvier à mars 1870. Trois mois plus tard, le 9 juin 1870, il meurt et, étrange coïncidence, cinq ans jour pour jour, après la catastrophe ferroviaire de Staplehurst, qui l’a tant marqué.

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Sources : Wikipédia, Youtube.

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