Célestin et Elise Freinet, pédagogues.

Né le 15 octobre 1896 à Gars (Alpes-Maritimes), mort le 8 octobre 1966 à Vence (Alpes-Maritimes) ; instituteur à Bar-sur-Loup, Saint-Paul-de-Vence, Vence (Alpes-Maritimes) ; secrétaire de la section départementale des Alpes-Maritimes du Syndicat national des instituteurs ; fondateur en 1926 de la Coopérative de l’Enseignement laïc (CEL) ; fondateur de « l’École moderne française » (Mouvement Freinet).


Célestin Freinet, qui demeure un des inspirateurs de la pédagogie moderne, naquit le 15 octobre 1896 dans un petit village des Alpes-Maritimes, Gars, où il vécut la vie d’un jeune paysan pauvre. Envoyé comme interne au cours complémentaire de Grasse, il réussit en 1913 le concours d’entrée à l’École normale d’instituteurs de Nice. La guerre l’empêcha de terminer sa scolarité et il fut mobilisé en 1915 sans avoir eu le temps d’accomplir son initiation pédagogique dans les écoles de la ville. Grièvement blessé, atteint gravement au poumon, il passa de longs mois à l’hôpital et fut décoré de la Croix de guerre et de la Médaille militaire. Son expérience tragique de la guerre nourrit ses premiers écrits. Après une longue convalescence qui dura quatre ans mais au terme de laquelle il n’était pas réellement rétabli, il fut nommé en 1920 instituteur adjoint à Bar-sur-Loup. Il connut des débuts pénibles à cause de sa santé déficiente (il s’essoufflait rapidement) et des conditions matérielles misérables de sa petite école. Cette situation fut à l’origine de certaines de ses innovations pédagogiques.

Célestin Freinet décida de préparer différents examens dont celui de l’Inspection primaire : ce faisant, il découvrit les ancêtres et les maîtres de la pédagogie moderne et Adolphe Ferrière, auteur de L’École Active, exerça sur lui une profonde influence. Sa vocation d’éducateur au service du prolétariat s’affermissait. « Ses dispositions d’esprit tout naturellement – écrit Élise Freinet – l’orientaient vers la pensée marxiste : il lut Marx, Lénine et, dominé par le dynamisme d’une pensée en mouvement, en lui s’éveilla peu à peu une initiative endiablée qui, plus tard, devait susciter les enthousiasmes et aussi les méfiances qui sont le lot de tous les novateurs » (Naissance d’une pédagogie populaire, p. 18).

Célestin et Elise Freinet, carte maximum, Vence, 12/10/2018.

En 1920, Célestin Freinet donnait ses premiers articles à L’École Émancipée. À l’été 1922, il effectua un voyage en Allemagne durant lequel il visita quelques écoles de Hambourg conçues selon l’idéal anarchiste intégral, sans autorité du maître, sans règle ni sanction, mais il en revint déçu. Reçu au professorat de lettres des Écoles primaires supérieures, il se vit proposer un poste à Brignoles mais préféra retourner comme instituteur à Bar-sur-Loup. Ce fut dans sa classe de Bar-sur-Loup qu’il inaugura les innovations destinées à ouvrir l’école sur la vie, comme les « enquêtes » dans la nature. En 1923, il assista à Montreux au IIe congrès de la Ligue internationale de l’Éducation nouvelle pour y entendre Ferrière, Claparède, Bovet, Coué ; mais il se rendait compte de l’impossibilité d’appliquer leurs thèses dans « sa petite classe dénudée et poussiéreuse ». Revenu convaincu « de la dépendance étroite de l’école et du milieu », il décida de rester instituteur et de trouver les techniques pédagogiques valables pour tous. Peu à peu, il mit en place une pédagogie originale dont l’outil majeur était l’imprimerie à l’école, matérialisant la pensée de l’enfant s’exprimant dans le texte libre.

Célestin Freinet exposa ses conceptions dans Clarté, revue sympathisante au communisme que Barbusse* lui avait ouverte : « L’appréciation de Barbusse* – écrit Élise Freinet – fut un lumineux encouragement pour l’humble pionnier pédagogue » (Naissance d’une pédagogie populaire, p. 35). Dans une série d’articles intitulés « Vers l’École du prolétariat », parus dans la revue Clarté (15 novembre 1923, 15 décembre 1923, 1er juin 1924, 1er mai 1925 auxquels il faut ajouter un article de juin 1925 sur l’imprimerie à l’école), il montra comment le « texte libre », le « livre de vie » pouvaient se substituer aux manuels scolaires dont il dénonçait la nocivité. Il rendit compte de ses expériences dans L’École Émancipée ; des liens se créaient avec des instituteurs intéressés par ses méthodes, comme avec R. Daniel, instituteur au Trégunc-Saint-Philibert (Finistère). Le premier article consacré à Célestin Freinet dans la grande presse parut dans Le Temps, le 4 juillet 1926 (« À l’école de Gutenberg »). À Bar-sur-Loup même, Freinet créait, animait et gérait une « coopérative de consommation et de vente de produits locaux ». Il créait un syndicat communal et bientôt l’électricité était installée dans chaque habitation.

Célestin Freinet fonda la Coopérative de l’enseignement laïc (CEL), avec un petit groupe d’instituteurs. Il publiait en janvier 1927 une brochure, L’Imprimerie à l’École, deux revues, La Gerbe et Enfantines ; en 1927 voyait le jour L’Imprimerie à l’École, bulletin mensuel de la Coopérative d’entraide. Les échanges interscolaires s’accroissaient. En 1927 se déroulait le premier congrès de l’Imprimerie à l’École à Tours, avec une trentaine d’adhérents. En 1928, Élise et Célestin Freinet se rendaient à Pâques au congrès pédagogique international de Leipzig où Freinet fut désigné comme délégué par l’Internationale de l’enseignement. Le IIe congrès de l’Imprimerie à l’École eut lieu à Paris en août 1928. Cette même année, Célestin et son épouse Élise Freinet étaient nommés instituteurs à Saint-Paul-de-Vence, dans une école dont Élise a décrit l’état délabré et misérable dans sa Naissance d’une pédagogie populaire. Célestin Freinet poursuivait son expérience pédagogique, perfectionnant ses outils, notamment les fichiers scolaires. Il publia en 1928 Plus de manuels scolaires et précisa dans des numéros de L’Imprimerie à l’École (octobre et décembre 1928) les différences essentielles entre les « techniques » et la « méthode » (« Vers une méthode d’Éducation nouvelle pour les écoles populaires ») ; en mai 1929, il exposa ses idées sur l’imprimerie, outil agent de transformation de la pédagogie. Le « fichier scolaire coopératif » naissait, grâce à la collaboration de Rousson et de Lallemand ; l’édition de 500 fiches était prévue, un projet de discothèque était mis au point. Les échanges interscolaires se multipliaient et le nombre des adhérents augmentait. En août 1929, le congrès de la CEL (qui comprenait alors de 150 à 200 membres) se réunissait à Besançon ; il fut suivi par les congrès de Marseille (1930), Limoges (1931), Bordeaux (1932). La Bibliothèque de Travail naissait en 1931-1932 et L’Éducateur prolétarien voyait le jour en ce même temps. À l’été 1932, la CEL prenait part au congrès de l’Éducation Nouvelle à Nice ; au lendemain du congrès, le 7 août, débutait la « Journée de Saint-Paul » où se retrouvaient une centaine d’adhérents ou de sympathisants de l’Imprimerie à l’École, à Saint-Paul-de-Vence. Ce fut peu après qu’éclata « l’affaire Freinet » à Saint-Paul-de-Vence. Les innovations pédagogiques de Freinet autant que sa volonté proclamée de créer une « école prolétarienne » furent à l’origine de cette affaire.

Dans Naissance d’une Pédagogie populaire, Élise Freinet a retracé les péripéties de la cabale menée contre le jeune instituteur par des personnalités de L’Action française (l’affaire commença une nuit de décembre 1931 par l’apposition d’affiches hostiles sur les murs de la ville). Une campagne de presse calomnieuse donna à cette affaire une dimension nationale. Elle provoqua des interpellations à la Chambre, entraîna une délégation conduite par Gabriel Péri*, auprès du ministre, A. de Monzie. On déplaça l’inspecteur d’Académie, on sanctionna l’Inspecteur primaire. De nombreux soutiens vinrent des milieux intellectuels. Célestin Freinet – cela lui fut reproché par l’administration préfectorale – assista à une conférence pédagogique le 8 juin 1933, organisée par l’AEAR, placée sous la présidence d’honneur de Langevin et présidée par Wallon et il fut, par ordre préfectoral, déplacé d’office, le 21 juin suivant « dans l’intérêt de l’école laïque », mis en congé avec traitement, ce qui irritera certains qui presseront le gouvernement de le révoquer, menace qui ne sera définitivement écartée qu’après février 1934. Dès juillet 1933, dans L’Éducation prolétarienne, Célestin Freinet annonça son projet d’ouverture d’une école libre.

Acquis aux idées communistes, Célestin Freinet adhéra au PC (en 1925 selon le témoignage d’Élise Freinet). À l’été 1925, il s’était rendu en voyage d’études pédagogiques avec une délégation syndicale ; celle-ci fut reçue au Kremlin par N. Kroupskaïa, vice-présidente du Commissariat national à l’Instruction publique. Il relata son expérience dans Un mois avec les enfants russes, publié en mai-juin 1927, dans un cahier de la revue de M. Wullens, Les Humbles (qui soutinrent dès ses débuts l’expérience de l’Imprimerie à l’école et s’employèrent à répandre les idées de Freinet).

Célestin Freinet continua à s’intéresser aux expériences pédagogiques soviétiques. Il admirait l’œuvre de Makarenko dont il connaissait certains aspects. Chaque mois, L’Éducateur prolétarien publiait des informations sur l’actualité pédagogique en URSS. Célestin et Élise Freinet étaient abonnés à des revues russes, et par l’intermédiaire de l’espéranto, ils obtenaient des renseignements sur les expériences soviétiques. Cependant Célestin Freinet déplora vite le manque de nouveauté de la pédagogie soviétique.

L’action de Célestin Freinet, qui se situait essentiellement sur un plan pédagogique et culturel, ne fut en général pas comprise par ses camarades de parti. « Nous comprenions – écrit Élise Freinet dans L’école Freinet réserve d’enfants (p. 237) – surtout que dans cette période historique de montée du fascisme, un durcissement dans l’esprit et l’action était nécessaire : le Parti ne pouvait être ni trop fermé ni trop ouvert pour garder sa cohésion, sa fermeté, son mordant dans l’attaque. Légitimer l’action de Freinet menée hors du Parti, dans les masses enseignantes où l’idéologie marxiste n’était pas dominante, c’était courir des risques sur le plan politique. En fait, le Parti tolérait Freinet à la base, profitait de son militantisme marginal (enseignement, syndicalisme paysan, Éducation nouvelle, Front populaire) appuyé qu’il était par Barbusse et les intellectuels marxistes. Mais Freinet n’était qu’un simple adhérent de la base, étranger à l’appareil administratif et qu’il serait facile de rejeter le cas échéant…
« Ce qui était pour nous rassurant, c’est que toujours la discussion restait ouverte avec les intellectuels marxistes collaborateurs de La Pensée : Politzer, les professeurs Wallon, Prenant, Friedmann étaient très facilement accessibles et nous trouvions toujours notre profit à les lire, à prendre contact avec eux, à suivre les approfondissements de la pensée marxiste à cette époque d’intellectualisme le plus ouvert et le plus accueillant. »

Célestin Freinet quitta Saint-Paul-de-Vence pour Vence où il transporta les archives de la CEL et, à la rentrée 1935, il put y réaliser le projet d’ouverture de sa propre école. Il fut alors accusé en février 1936, d’« ouverture clandestine d’école », et condamné à fermer son école mais celle-ci continua néanmoins à fonctionner. Seule la victoire du Front populaire lui permit d’obtenir l’accord officiel des autorités. Militant pour le Front populaire, Célestin Freinet prit une part active à la constitution du Front de l’Enfance auquel il tenta d’intéresser les Partis et organisations de gauche, mais que seule la CEL soutiendra ; il fit un rapport sur le Front de l’Enfance au congrès de l’Internationale de l’enseignement en août 1935 à Meudon et milita au Groupe français d’éducation Nouvelle dont le président d’honneur était R. Rolland. En 1936-1937, il lançait une édition nouvelle, les Brochures d’éducation nouvelle populaire mais ne parvint pas à établir une collaboration de la CEL avec le Syndicat national des instituteurs, ni avec la maison d’édition Sudel. Cependant le congrès de la CEL, en avril 1939, à Grenoble put toutefois présenter le bilan de l’œuvre entreprise et de ses méthodes.

À partir des années 1934-1935, Célestin Freinet qui s’était engagé ouvertement dans le militantisme social et politique, en faveur du Front populaire, s’était donné à un travail d’organisation coopérative dans tout le département des Alpes-Maritimes et avait entrepris un travail de liaison avec le milieu paysan. Il organisa à partir de 1936 des stages de fin d’année à l’intention des jeunes ouvriers. Il réunit un noyau de militants paysans avec lequel plus de 80 syndicats paysans étaient créés et un journal L’Action paysanne, lancé. Célestin Freinet collaborait en 1936-1937 au Cri des Travailleurs des Alpes-Maritimes et, en octobre 1937, fut candidat du PC aux élections cantonales (canton de Saint-Auban).

La guerre interrompit cette activité. Le 20 mars 1940, Célestin Freinet était interné au centre de regroupement de Saint-Maximin puis à Chabanet, malgré son état de mutilé du poumon. Devenu très malade, il ne dut d’être hospitalisé que sur intervention de Langevin ; il fut à nouveau interné à Chibron, commune de Signes (Var) et transféré, le 15 février 1941, au camp de Saint-Sulpice-du-Tarn où il resta jusqu’au 29 octobre 1941. Entré dans la clandestinité, en liaison avec les mouvements de Résistance du Briançonnais, il mit au point deux ouvrages de psychologie, L’Expérience tâtonnée et Essai de psychologie sensible et entra au maquis FTP de Bassac dont il devint le chef. Appelé au Comité de Libération de Gap, il y remplit diverses activités et créa un centre scolaire.

En août 1945, il rejoignit son école de Vence, dévastée, et remit en marche la CEL. Avec l’aide de ses collaborateurs, il reconstitua son mouvement dispersé. En 1946, il réédita son École Nouvelle française écrite à la Libération, sous le titre L’École Moderne française, afin d’éviter toute équivoque sur son mouvement. Le mouvement Freinet ou de l’École moderne française créa en 1948, au premier congrès de l’après-guerre à Dijon, l’Institut coopératif de l’École Moderne (ou ICEM). Les adeptes du mouvement sur le plan international se groupèrent dans la Fédération internationale de l’école moderne (FIEM).

Le film du cinéaste communiste Le Chanois (l’Ecole buissonnière) qui retraçait l’expérience de Freinet, sorti en 1948, avait été accueilli chaleureusement par le public, les instituteurs et le parti communiste. Or Célestin Freinet fut l’objet en 1950 d’une critique acerbe du PCF. L’attaque qui débuta dans le numéro 15 de la revue La Nouvelle Critique (avril 1950) se poursuivit dans treize numéros, les trois derniers de mai à juillet 1952.
Jean (ou Georges) Snyders sous le titre « où va la pédagogie « nouvelle » ? A propos de la Méthode Freinet » commençait par rappeler que les méthodes pédagogiques dites nouvelles ne peuvent pas avoir par elles-mêmes une fonction révolutionnaire puis déclarait que « tout le danger de ces méthodes apparaît chez Freinet ». Celui-ci, malgré ses déclarations ou intentions progressistes, en s’enfermant dans sa spécialisation pédagogique (voire ses « trucs pédagogiques ») « est incapable de surmonter la mystification, entraîné par la fausseté des principes qu’il pose ». Snyders affirmait que « dans tous les pays les méthodes nouvelles ont joué un rôle antiprogressiste » (exemples J.Dewey, Piaget…) Le travail des élèves, la vie en équipe, n’ont pas en soi de vertu démocratique et ne permettent pas d’appréhender la richesse des rapports sociaux. L’examen de certaines B.T (Bibliothèque de travail) montre leur caractère réactionnaire. Or « la voie d’une pédagogie véritablement révolutionnaire c’est une éducation qui relie l’enfant aux mouvements progressistes et aux victoires du prolétariat ». Le chemin à suivre se trouve chez Makarenko et les réalisations soviétiques.

La réaction à cette accusation fut sans doute plus importante que prévue car dans le n°17 la revue annonçait un abondant courrier et son souci de continuer la discussion. On apprenait que certaines lettres qui qualifiaient l’étude de Snyders « d’inqualifiable » et clamaient leur « indignation » ne seraient pas publiées. Snyders signalait que Freinet (dans le n°15 de L’Éducateur du 15 avril) avait déclaré n’avoir « jamais trouvé l’équivalent, même dans les revues les plus réactionnaires », d’attaques aussi partielles et partiales, tissées d’ignorance et de malveillance. Plus tard (L’Éducateur du 1er juin) il accusera Snyders de « jésuitisme », de bourrage de crânes, de rabâchages. La Nouvelle critique qui reproduisait ces expressions ne publia pas l’article, jugeant que Freinet refusait la discussion.

Une discussion s’ouvrit dans le n° 18. Outre F. Seclet Riou du GFEN qui émettait quelques réserves, Roger Garaudy* se livrait à une analyse du livre d’Élise Freinet (Naissance d’une pédagogie populaire) et retraçait « la trajectoire du mouvement de la Coopérative de l’enseignement laïc (CEL). Selon lui, Freinet, au lieu d’opposer la classe ouvrière à la classe bourgeoise opposait l’enfant à l’adulte, ce qui signifiait que le rôle dirigeant n’appartenait pas à la classe ouvrière mais à l’enfant ( !). Contre cette idéologie (« rousseauiste ou proudhonienne ») tournons-nous vers l’URSS où Kalinine pose le problème pédagogique essentiel : celui de l’école dans la perspective historique de la lutte des classes.

_ Le débat se poursuit dans les numéros 19 à 24 de La Nouvelle Critique avec la publication de onze lettres (sur une centaine reçues) dont l’une, partielle, d’Élise Freinet. Parallèlement certaines autres publications, proches du PC, participaient au débat (la revue cite Ouest Matin et l’organe de la FEN-CGT des Alpes Maritimes). Sur la base du dossier complet, Georges Cogniot tirerait quelques conclusions essentielles. Sans s’étendre sur le contenu de toutes les lettres publiées (répartition assez équitable des opinions) on pouvait y déceler la vigueur des discussions. Le débat fut vif, acharné et les participants furent loin de capituler. Il ne s’agissait pas d’un artiste (ex : Fougeron), d’un écrivain (J. Prévert condamné au même moment) ou d’un universitaire isolé (cf Marcel Prenant) mais d’un corps professionnel : les instituteurs !

Les instituteurs communistes souvent responsables au SNI ou cadres moyens influents au parti : c’était un « gros morceau » ainsi que l’affirmera, plus tard, un ancien instituteur interviewé par J. Verdés-Leroux. « Le PC recule quand il y a un rapport de forces ».

Ainsi certaines lettres publiées critiquaient Snyders avec véhémence à la fois sur le fond (ignorance, préjugés) et sur la forme (polémique blessante, mépris des instituteurs…) Les lettres suivantes répétaient ou paraphrasaient les propos de l’accusation en citant les éternels Makarenko et Kalinine.

Les conclusions « essentielles » de Cogniot tardèrent quelque peu puisqu’en juin 1951 (n° 27 de La Nouvelle Critique) le dirigeant du PC publiait des « Remarques préalables à un essai de bilan » d’une discussion au cours de laquelle approbations ou protestations furent « parfois précipitées ». S’appuyant sur le « grand Makarenko » opposé au « champion de la bourgeoisie impérialiste Dewey » il rappelait « des principes simples » avant « l’essai (téméraire) de conclure », à savoir : but et contenu de l’éducation, méthodes, démagogie de l’éducation « libre ». Le problème est de savoir si la théorie de Freinet exprime les intérêts du prolétariat, du camp de la démocratie et de la paix. Le nom du pédagogue visé n’apparaissait que dans les dernières lignes de l’article et sera dorénavant cité dans l’expression « C. Freinet et son groupe ».

L’essai de bilan se fit attendre jusqu’en mai 1952 (n°36). Freinet ayant parlé de « Procureur embarrassé » dans L’Éducateur de mars 1952, Cogniot rétorque que le temps lui a manqué et qu’il est un libre enquêteur critique. Son texte s’étend sur 41 pages (soit 3 numéros de la revue). Freinet y est confronté à trois idées.

1) Toute école dans une société de classe a un caractère de classe, il n’y a donc pas de neutralité. Or Freinet s’affirme neutre à l’égard des organisations politiques étant « pédagogue d’abord ». De plus il n’accepte pas que la pédagogie soviétique ait une valeur exemplaire supérieure à celle des éducateurs modernes.

2) Le contenu de l’enseignement est un problème central. Or chez Freinet la considération des techniques l’emporte sur celle du contenu lorsqu’il déclare :
« donner le pas à la technique du travail sur le contenu à enseigner ». Et Cogniot d’exposer les racines philosophiques de son anti-intellectualisme (en vrac : idéalisme, biologisme, bergsonisme, mysticisme…). Pour couronner le plus grave reproche (en caractères majuscules) : « l’éducation dite moderne concourt à ouvrir les portes de l’école française aux influences les plus nocives de toutes à l’heure présente : les influences américaines. Toute connivence, même involontaire avec la pédagogie américaine est condamnable ».

3) Les obligations indissolubles de l’instituteur d’avant-garde sont : donner le meilleur enseignement possible conforme à la vérité et aux idées de progrès et de science (ce qui n’exclut pas l’amélioration de la compétence technique), garder un contact étroit avec la classe ouvrière, savoir affirmer ses positions militantes, améliorer ses connaissances idéologiques.

Ce débat avait couvert 167 pages (dont 55 de Cogniot). A partir de l’année suivante la rubrique « Enseignement » disparaît de la table des matières de La Nouvelle Critique.

À la mort de Célestin Freinet, on put dire qu’environ 10 000 instituteurs s’inspiraient de ses méthodes (Le Monde, 11 octobre 1966). L’École libératrice, le 14 octobre 1966, dans un court article évoquait quelques réalisations de ce « pédagogue de grand talent » qui fut un « pionnier ».

Bien que l’expérience de Célestin Freinet se soit déroulée en dehors de l’enseignement officiel, certains de ses principes sur une pédagogie adaptée à l’enfant dans un esprit d’émancipation sociale ont pénétré l’enseignement primaire traditionnel.

Voir aussi cette vidéo :

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Sources : Le maîtron, YouTube.

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