Berthe Morisot, peintre impressionniste.

Berthe Marie Pauline Morisot, née le 14 janvier 1841 à Bourges et morte le 2 mars 1895 à Paris 16e, est une artiste peintre française, membre fondateur et doyenne du mouvement d’avant-garde que fut l’Impressionnisme.

Elle était dans le groupe impressionniste, respectée par ses camarades et admirée. À sa table, se réunissent son beau-frère Édouard Manet qui est le plus mondain, Edgar Degas, le plus ombrageux, Pierre-Auguste Renoir, le plus sociable, et Claude Monet le plus indépendant du groupe. Stéphane Mallarmé l’introduit auprès de ses amis écrivains.

Les étapes de la carrière de Berthe Morisot ne sont pas très marquées, car elle a détruit toutes ses œuvres de jeunesse. C’est à peine si l’on discerne une influence d’Édouard Manet ou de Pierre-Auguste Renoir vers la fin de sa vie. Après sa mort, la galerie Durand-Ruel a organisé une rétrospective de ses peintures, aquarelles, pastels, dessins et sculptures : il y avait plus de quatre cents pièces.

En 1983, Elizabeth Kennan, rectrice du Mount Holyoke College et C. Douglas Lewis, conservateur du département de sculptures de la National Gallery of Art, admirent la peinture de Berthe Morisot et décident, pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la création du Mount Holyoke College, d’organiser une grande rétrospective des œuvres de l’artiste à la National Gallery of Art et dans deux autres musées américains, car les quatre principaux mécènes du college ont été parmi les premiers à collectionner les œuvres de Berthe Morisot. Ils ont été les pionniers d’une reconnaissance que, selon Sophie Monneret, on ne lui accordait pas par sexisme. Depuis quelques années, on constate une forme de réhabilitation de Berthe Morisot. Le Palais des Beaux-Arts de Lille et la Fondation Gianadda de Martigny ont accueilli en 2002 une grande rétrospective de ses œuvres. Le musée Marmottan lui a consacré une rétrospective de mars à août 2012 : c’était la première rétrospective qu’on lui accordait à Paris depuis un demi-siècle (la dernière étant celle du Musée Jacquemart-André en 1961). D’autres expositions monographiques, de moindre importance, ont également défendu l’artiste auprès du public européen : la Fondation Denis et Annie Rouart à Lausanne en 1997 et le musée de Lodève en 2006. Actuellement, une grande tournée nord-américaine (Musée national des beaux-arts du Québec, Fondation Barnes et Musée d’Art de Dallas) et parisienne (Musée d’Orsay) est organisée en 2018-2019.

Berthe Morisot était une « rebelle ». Tournant le dos très jeune à l’enseignement académique du peintre lyonnais Chocarne, elle a fondé avec Claude Monet, Auguste Renoir, Alfred Sisley, Camille Pissarro, Edgar Degas le groupe d’avant-garde les « Artistes Anonymes Associés », qui allait devenir la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs regroupant des impressionnistes. Sa volonté de rupture avec les traditions, la transcendance de ses modèles, et son talent ont fait d’elle « la grande dame de la peinture » selon Anne Higonnet.


Berthe Morisot naît à Bourges où son père, Edme Tiburce Morisot, est préfet du département du Cher. Sa mère Marie-Joséphine-Cornélie Thomas est une petite-nièce du peintre Jean Honoré Fragonard.

Berthe avait deux sœurs. L’une, Yves, 1838-1893, devint plus tard Madame Théodore Gobillard, peinte par Edgar Degas sous le titre Madame Théodore Gobillard, Metropolitan Museum of Art. Yves est bien le prénom de la jeune fille.

Sa deuxième sœur, Edma (1839-1921), pratiquait la peinture avec Berthe qui fit son portrait en 1865 (collection privée). Les deux sœurs exposèrent ensemble pour la première fois au Salon en 1864, mais Edma abandonna ses pinceaux aussitôt après son mariage en mars 1869 avec le lieutenant de vaisseau Adolphe Pontillon, car c’est l’année de deux portraits par Berthe de sa soeur mariée: dans l’un elle est assise dans un fauteuil confortable devant une porte-fenêtre donnant sur un balcon, dans l’autre, elle est assise avec une ombrelle sur un parapet du port de Lorient où son mari était affecté (reproduit dans le catalogue de l’exposition French Paintings (collections Mellon) Washington , National Gallery of Art, 1966, n°93 et 95).

Les sœurs Morisot avaient aussi un frère, prénommé Tiburce comme son père, dont on sait seulement qu’il est né le 11 décembre 1845 à Limoges et qu’il était inspecteur général à la Compagnie des wagons-lits au moment de son mariage en octobre 1887.

C’est le père qui rapporte les propos enflammés que Joseph Guichard tenait à son épouse sur le talent de ses filles « Avec des natures comme celle de vos filles, ce ne sont pas des petits talents d’agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront des peintres. Vous rendez-vous bien compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de la grande bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une catastrophe. Êtes-vous bien sûre de ne pas me maudire un jour ? ».

C’est en effet la mère des sœurs Morisot qui leur avait offert des leçons de peinture pour faire une surprise à son mari qui, lui-même, avait étudié l’architecture et était amateur d’art. Le père venait d’être nommé à la Cour des Comptes, mais selon les souvenirs rapportés par Tiburce, le jeune frère de neuf ans, l’enseignement de Geoffroy-Alphonse Chocarne, dans le style néo-classique, ne plaisait pas du tout aux jeunes filles. Et comme l’École des beaux-arts n’était pas ouverte aux femmes, Madame Morisot trouva un autre professeur, Joseph Guichard, dont Edma et Berthe apprécièrent beaucoup l’enseignement.

Cependant, après avoir rencontré les copistes au Louvre, notamment Fantin-Latour qui s’enthousiasmait pour Horace Lecoq de Boisbaudran et ses méthodes originales, Edma et Berthe demandèrent à Guichard des leçons de peinture en plein air. Guichard les confia au paysagiste Achille Oudinot, qui les confia à son tour à son ami Jean-Baptiste Camille Corot.

La famille Morisot loua une maison à Ville-d’Avray, pendant l’été, pour que les jeunes filles puissent peindre auprès de Corot, qui devint bientôt un familier de leur domicile parisien rue Franklin. Comme il était opposé à toute forme d’enseignement traditionnel, on ne sait pas si Corot donna souvent des leçons aux jeunes filles, et dans quel lieu. On remarque néanmoins que Berthe tient de lui sa palette claire et son goût pour les traces apparentes de pinceaux, ou pour les petites études de paysages.

En 1863, il y eut un phénomène qui devait marquer l’histoire de l’art : le Salon de peinture et de sculpture accepta les toiles de Jean-Baptiste Camille Corot. Mais il refusa un si grand nombre d’artistes parmi les cinq mille qui présentaient des œuvres, et cela créa un tel scandale, que l’empereur ouvrit un autre Salon : le Salon des refusés.

Cette agitation n’empêchait pas les sœurs Morisot de préparer leur premier envoi au Salon de 1864. Les Morisot louèrent une ferme dans un quartier de Pontoise nommé « Le Chou », sur les bords de l’Oise, près d’Auvers-sur-Oise. Edma et Berthe furent alors présentées à Charles-François Daubigny, Honoré Daumier et Émile Zola. Pour son premier envoi, Berthe Morisot fut admise au Salon avec Souvenir des bords de l’Oise et Un vieux chemin à Auvers, Edma Morisot avec une scène de rivière à la manière de Corot. Deux critiques d’art remarquèrent les tableaux des sœurs et notèrent l’influence de Corot, mais on leur accorda peu d’attention.

L’année suivante, l’envoi de Berthe Morisot au Salon de 1865 fut remarqué par Paul Mantz, critique d’art à la Gazette des beaux-arts, qui y voyait : « beaucoup de franchise et de sentiment dans la couleur et la lumière », appréciation qui contraste avec celle qu’il va porter en 1881 sur la peinture lorsqu’elle montrera plus d’audace dans son style. Il est vrai que jusqu’en 1867, Berthe Morisot présentait encore des œuvres qui ne dérangeaient pas comme La Brémondière, scène de rivière aujourd’hui disparue. Il reste un de ses premiers chefs-d’œuvre Chaumière en Normandie (collection particulière) où son talent éclate dans la manière de strier la toile de troncs d’arbres pour faire apparaître en arrière-plan des vues d’une chaumière.

Au Louvre, les sœurs Morisot ont rencontré Édouard Manet avec les copistes. Les parents Morisot donnaient des soirées où ils rencontraient les Manet. Madame Manet-mère donnait également des soirées où elle recevait les Morisot, et tout ce monde se retrouvait encore aux soirées de monsieur de Gas (père d’Edgar Degas) où étaient présents Charles Baudelaire, Emmanuel Chabrier, Charles Cros, James Tissot, Pierre Puvis de Chavannes. Cette bourgeoisie d’avant-garde était alors très mondaine. On apprit par madame Loubens (surtout connue pour le portrait que Degas a fait d’elle) que Degas avait été amoureux d’Edma Morisot, et que Manet avait exprimé de l’admiration pour son travail. Le salon des Morisot était fréquenté par un nombre croissant de célibataires, parmi lesquels se trouvait Jules Ferry auprès duquel Tiburce Morisot dénonça les dangers du baron Haussmann et ses projets urbains grandioses. Les deux sœurs avaient confié des toiles au marchand Alfred Cadart, dont elles attendaient beaucoup et qui se révéla décevant mais madame Morisot s’inquiétait moins, désormais, pour la carrière de ses filles que pour le choix de leurs époux : Yves venait d’épouser en 1866 Théodore Gobillard, un fonctionnaire mutilé d’un bras pendant la campagne du Mexique. Edma épousa deux ans plus tard Adolphe Pontillon, officier de marine, ami de Manet, avec lequel elle partit pour la Bretagne.

Après avoir passé un dernier été avec ses deux sœurs en Bretagne, chez Edma, Berthe Morisot commença une carrière indépendante. Elle peignit une vue de la rivière de Pont-Aven à Rozbras, exposée l’année suivante au Salon de 1868, avec les toiles d’Edma, qui exposait encore. La plupart des critiques — sauf Émile Zola, ardent défenseur de Manet — négligèrent les œuvres de Berthe et Edma Morisot, cette année-là. À cette époque, le mépris pour les femmes-peintres atteignait des sommets, et Manet écrivait à Fantin-Latour « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c’est fâcheux qu’elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux ».

Mais Berthe Morisot poursuivit sa carrière; en 1869, elle rapporta d’une visite à sa sœur une Vue du petit port de Lorient, National Gallery of Art.

Il y eut ensuite un chassé-croisé d’influences mutuelles, d’emprunts parfois imperceptibles, de Manet à Morisot et inversement. Entre 1871 et 1872, Morisot réalisa un tableau représentant sa sœur, Yves Gobillard, avec sa fille, Bichette, sous le titre Femme et enfant au balcon, collection particulière. Yves est de profil et l’enfant, de dos, tourné vers Paris, reprend une idée que l’artiste avait déjà traitée dans une des aquarelles de Cherbourg : Femme et enfant assis dans un pré 1871, où l’enfant a également le dos tourné. L’année suivante Manet reprit la silhouette de l’enfant vue de dos, qui regarde au loin, à travers une grille dans son Chemin de fer, National Gallery of Art mais la balustrade verte de Berthe Morisot rappelle celle du Balcon de Manet.

Berthe Morisot aimait tant son tableau qu’elle en fit une copie à l’aquarelle (Art Institute of Chicago). Le personnage de dos apparaît souvent dans ses toiles. Par ce procédé, elle donnait aux portraits de famille un aspect moins affecté, qui inaugurait un nouveau genre déjà expérimenté avec la toile Intérieur, 1871. La femme de profil au premier plan voit l’enfant écarter le rideau de la fenêtre, mais la lumière du jour est si forte que toutes les formes sont dissoutes, ce qui lui vaudra d’être refusé au Salon de 1872.

La même année, Berthe Morisot réalisa Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro, Santa Barbara Museum of Art, Californie. Mais elle n’était pas contente de son travail car elle écrivit à Edma que « (…) comme arrangement, cela ressemble à du Manet. Je m’en rends compte et je suis agacée », faisant allusion au tableau que Manet peignit pendant l’exposition universelle de 1867 : Vue de l’exposition universelle de 1867, Nasjonalgalleriet, Oslo.

L’atelier de Berthe Morisot à Passy avait été endommagé par la guerre. Elle cessa de peindre un temps et préféra poser pour Manet qui, déprimé par la guerre et les dégâts de la syphilis, n’arrivait plus à travailler. De cette période date Berthe Morisot au chapeau noir, 1872, collection particulière.

Au début de l’année 1872, par l’intermédiaire d’Alfred Stevens, le marchand Paul Durand-Ruel vint dans l’atelier de Manet et lui acheta vingt deux toiles. Au début juillet, Morisot demanda à Manet de montrer un de ses paysages de bord de mer à Durand-Ruel qui acheta : L’Entrée du port de Cherbourg, musée Léon-Alègre, Bagnols-sur-Cèze, et trois aquarelles de Berthe Morisot dont La Jeune Fille sur un banc (Edma Pontillon), 1872, National Gallery of Art, puis en 1873, Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro qu’il revendit à un prix respectable à Ernest Hoschedé négociant et collectionneur.

Peu à peu, Berthe Morisot allait s’écarter des couleurs sombres d’Edouard Manet pour adopter des couleurs de plus en plus claires.

La maîtrise de Berthe Morisot commençait à subjuguer ses camarades qui la reconnaissaient comme une artiste à part entière, en particulier Edgar Degas. Elle commençait à se détacher des couleurs un peu sombres pour adopter des tons de plus en plus clairs, qu’elle tenait de Corot. Parfois ses couleurs étaient éclatantes comme sur la toile Intérieur que le jury du salon de 1872 refusa, ce qui indigna Puvis de Chavannes. Manet qui suivait toujours de très près le travail de Morisot se laissa peu à peu influencer par les teintes claires de La Petite fille aux jacinthes, pastel, 1872, de Jeune fille assise sur un banc (Edma Pontillon), 1872, et du Berceau, 1872, Musée d’Orsay envoyé au salon de 1872.

Le Berceau marque une étape dans l’évolution de Berthe Morisot : « La façon dont Berthe peint cette enfant avec des blancs détrempés, des gris frottés et des petits points roses parsemés sur le bord du tissu suppose un pinceau extraordinairement libre qui contraste avec les traits nettement dessinés de la mère. »

C’est de cette époque que date le plein épanouissement de Berthe Morisot qui allait souvent s’installer dans la propriété de sa sœur à Maurecourt au bord de l’Oise dans les Yvelines pour travailler. Son style évolue notablement : « […] son extraordinaire sensibilité artistique est exprimée avec une extrême délicatesse de touches, et une brosse rapide, art que l’on peut rapprocher de celui de la fugue, et qui semble faire naître de la lumière même les personnages inscrits dans le paysage. La Chasse aux papillons, 1874, huile sur toile, 46 × 56 cm musée d’Orsay, Cache-cache, 1873, huile sur toile 45,1 × 54,9 cm, collection privée, montrent la maîtrise parfaite de l’expression plastique où les influences de Corot et de Manet sont à la fois assimilées et transcendées. » De cette époque naîtront des œuvres comme : Madame Boursier et sa fille 1873, huile sur toile, 74 × 52 cm, Brooklyn Museum, Sur la pelouse, 1874, pastel, 73 × 92 cm, musée du Petit Palais, Paris, Sur la plage, 1873, Musée des beaux-arts de Virginie, Richmond (Virginie).

À l’été 1874, Berthe Morisot passa ses vacances à Fécamp avec Edma, ses enfants, et des amis de la famille qui posèrent pour elle. En vacances non loin de là, Eugène Manet, âgé de quarante et un ans, venait parfois peindre aux côtés de Berthe Morisot et surtout la courtisait. Le 22 décembre suivant, elle l’épousait à la Mairie puis à l’église de Notre-Dame-de-Grâce de Passy. Cette année-là, Édouard fit de Berthe deux magnifiques portraits, Portrait de Berthe Morisot à l’éventail (palais des beaux-arts de Lille), où Berthe Morisot apparaît en deuil après la mort de son père en janvier. On distingue néanmoins sa bague de fiançailles sur la main gauche et l’éventail est replié. L’autre portrait est intitulé Berthe Morisot à l’éventail, musée d’Orsay présente l’artiste le visage caché derrière son éventail.

Le Salon de 1873 avait été houleux. Les artistes qui s’étaient vus refuser leurs travaux se plaignaient des choix conservateurs du jury. Berthe Morisot n’eut qu’un seul tableau accepté Blanche, œuvre très conventionnelle qui représentait sans doute Blanche Pontillon bébé. Mais déjà, un groupe d’artistes composé de Monet, Pissarro, Sisley, Degas, avaient signé une charte le 27 décembre 1873, projetant d’organiser une coopérative : La Société des artistes français, qui allait prendre le nom de Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle Berthe Morisot adhéra après la mort de son père. Elle abandonnait le Salon officiel pour les expositions impressionnistes dont elle allait être l’un des éléments marquants. Ceci en dépit des conseils de Puvis de Chavannes, et du refus de Manet, qui venait de recevoir une médaille au salon de 1873 et qui ne voulait pas se joindre au groupe, « …prouvant ainsi que pour être admis, il faut faire au goût officiel d’énormes concessions » . Les discussions étaient vives.

La Première exposition des peintres impressionnistes eut lieu dans les Salons Nadar, 35 boulevard des Capucines, là où se trouvaient les anciens ateliers de Nadar. Vingt neuf artistes y participaient, Berthe Morisot étant la seule femme61. Une semaine avant l’ouverture de l’exposition, Puvis de Chavannes lui envoya une lettre pour la mettre en garde contre le fiasco de cette entreprise. Mais rien n’arrêta la jeune artiste. Elle affirmait ainsi son indépendance vis-à-vis de Manet qui s’était détourné de cette exposition contestataire. Parmi les huiles qu’elle envoya chez Nadar, il y avait : Le Berceau (musée d’Orsay), Le Port de Cherbourg, la Lecture, Cache-cache, parmi les pastels : Portrait de mademoiselle Madeleine Thomas, Le Village de Maurecourt, Sur la Falaise, pastel, département des arts graphiques, musée du Louvre. D’après le catalogue de l’exposition, Berthe Morisot exposa quatorze huiles, trois pastels et trois aquarelles.

Trois mille cinq cents visiteurs se bousculèrent, la critique vint en nombre. La plus remarquée fut celle parue le 25 avril dans Le Charivari signée Louis Leroy, qui, reprenant dans son article le titre d’un des tableaux de Monet Impression, soleil levant, donna son nom au mouvement impressionniste : « … Mais l’impression, devant le boulevard des Capucines […] En voilà de l’impression ou je ne m’y connais pas […] Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, c’est qu’il y a de l’impression là-dedans. »

Eugène soutenait déjà Berthe à l’été 1874, au moment où la presse ridiculisait la jeune femme, l’accusant de se donner en spectacle63. Mais Berthe Morisot poursuivait avec ardeur dans la voie qu’elle avait choisie. Elle s’affirmait, abandonnant un tableau dont le fond n’était pas terminé : Portrait de madame Hubbard Ordrupgaard museum de Copenhague, et le conservant pour le vendre, alors qu’autrefois, elle aurait détruit une œuvre inachevée. Elle participa à une vente aux enchères à Drouot où douze de ses œuvres furent vendues.

Ce fut un scandale. Renoir racontait qu’un détracteur avait qualifié Berthe Morisot de prostituée et que Pissarro lui avait envoyé son poing dans la figure, ce qui avait déclenché une bagarre. La police fut appelée en renfort.

Manet encourageait les journalistes à apporter leur soutien à cette vente, alors que le journal Le Figaro dénonçait les tendances révolutionnaires et dangereuses de la première exposition impressionniste dans une violente diatribe signée Albert Wolff. Le journaliste traitait les artistes d’aliénés : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s’appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d’un esprit en délire. » Eugène Manet avait l’intention de le provoquer en duel, mais Berthe Morisot et ses camarades le détournèrent de ce projet.

Des œuvres de cette époque s’appliquent à décrire, dans des formats plus petits, le monde ouvrier que Zola célébrait, et que Monet, Pissarro et Degas choisirent aussi pour sujet à partir de 1875. Morisot elle-même participa de cette tendance avec un de ses tableaux les plus réussis : Percher de blanchisseuses, 1875, National Gallery of Art, Washington. Cette année-là, Eugène fut contraint d’être le modèle de Berthe (il détestait poser) pour le tableau : Eugène Manet à l’île de Wight, collection particulière.

Morisot, désormais plus sûre d’elle, chercha à vendre ses toiles. Édouard et Eugène Manet l’encouragèrent à les envoyer à la galerie Dudley de Londres qui n’en exposa aucune. En revanche, Hoschedé acheta chez Durand-Ruel Femme à sa toilette, scène d’intérieur inondée de lumière et traitée à grands traits, collection particulière. Certains critiques d’art, Arthur Baignières surtout, commentaient l’évolution de son style en regrettant qu’elle poussât aussi loin la recherche impressionniste : « Elle pousse le système impressionniste à l’extrême et nous le regrettons d’autant plus qu’elle possède des qualités rares comme coloriste. Plusieurs de ses toiles représentent des vues de l’île de Wight et on ne peut pas les reconnaître […] Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu’elle peut peindre jusqu’au mouvement de chaque chose inanimée. »

Berthe Morisot, épreuve de luxe.

Vers 1886-1887 Berthe Morisot se mit à explorer de nouvelles techniques : sculpture, pointe sèche, qui constituaient un défi pour la coloriste virtuose qu’elle était. Elle réalisa en 1886 un buste en plâtre blanc de sa fille Julie, que Monet et Renoir l’encouragèrent à exposer chez Georges Petit chez qui ils avaient exposé eux-mêmes. Petit était un homme d’affaires avant tout : il demandait aux artistes de lui laisser une partie de leurs œuvres en compensation de ses frais. Morisot accepta ses exigences, mais Petit ne réussit pas à vendre une seule de ses sept œuvres parmi lesquelles se trouvait le buste de Julie, et Paule Gobillard en robe de bal, un portrait de sa nièce, Paule Gobillard (1869-1946) artiste peintre également son élève, tout dans les tons de blanc. Berthe Morisot lui laissa Le Lever.

En février 1887, Morisot fut invitée à exposer à Bruxelles avec un groupe d’artistes d’avant-garde : le Groupe des XX où Georges Seurat et Pissarro exposaient aussi96. L’envoi de Berthe Morisot comprenait Le Corsage rouge, 1885, huile sur toile, 73,5 × 60 cm, Ordrupgaard museum de Copenhague; Le Lever 1886, huile sur toile 63 × 54 cm, collection particulière, le Port de Nice, 1881-1882, huile sur toile 41 × 55 cm, collection particulière, Dans la salle à manger, (1875 ou 1885-1886 selon les biographies), huile sur toile 61,3 × 50 cm, National Gallery of Art, Intérieur à Jersey, 1886, huile sur toile, 50 × 60 cm, musée d’Ixelles.

Vers 1886-87, Berthe Morisot commença à traiter des nus au pastel, au fusain, à l’aquarelle, tous exécutés dans des tons très doux : Jeune femme aux épaules nues, 1886, pastel sur papier, 41,5 × 53 cm, collection privée ; Femme s’essuyant, pastel sur papier, 42 × 41 cm, collection privée. Par la suite, elle s’attacha à représenter sa fille, Julie, sous tous les aspects : en joueuse de flûte avec Jeanne Gobillard, dans Le Flageolet, 1891, huile sur toile, 56 × 87 cm, collection privée, Julie avec son lévrier, 1893. Elle avait le projet d’en faire une série. Berthe Morisot peignit aussi beaucoup de jeunes filles La Mandoline, 1889, huile sur toile 55 × 57 cm, ou Sous l’oranger, 1889, huile sur toile, 54 × 65 cm.

Le couple Manet était à ce moment-là dans le sud de la France. De retour à Paris, Berthe Morisot loua une maison à Mézy au Nord Ouest de Paris. Elle constatait que la santé d’Eugène qui souffrait d’une forme pulmonaire de la syphilis n’était pas bonne et elle peignit très peu pendant un temps. « Elle trouvait qu’elle et son mari avaient vieilli prématurément et elle éprouvait de la nostalgie au spectacle de sa fille et de ses nièces qui apprenaient à dessiner, peindre, jouer de la musique. Berthe sentait venir la fin de sa vie101. » Dans une lettre à Edma, elle exprime dans son testament le désir que Mallarmé soit le tuteur de Julie.

Berthe Morisot fit malgré tout aménager une grange en atelier et elle prit les enfants de Mézy comme modèles, mais Renoir la pressait de terminer une toile décorative dans l’esprit de Le Printemps (Botticelli), commencée à Nice en 1888. Morisot fit de nombreuses études préparatoires pour cette toile Le Cerisier”, 1891-1892, huile sur toile 136 × 89 cm, collection privée. Elle faisait désormais un grand nombre d’études préparatoires pour tous ses tableaux : elle fit trois versions de Bergère couchée, et, tout en continuant à travailler sur le Cerisier, elle reprit sa série de Julie Manet : Julie Rêveuse, 1894, huile sur toile, 80 × 60 cm et Julie au violon 1894, 65 × 54 cm, collection privée.

La santé d’Eugène Manet, âgé de 59 ans, déclinait de plus en plus. Il mourut le 13 avril 1892. Stéphane Mallarmé devint le tuteur de Julie.

Berthe Morisot avait décliné l’invitation du Groupe des Vingt pour l’exposition de Bruxelles du début 1892, mais Eugène l’avait poussée à organiser une grande exposition individuelle à la galerie Boussod et Valladon. Cette galerie, fondée par Adolphe Goupil n’était pas favorable aux impressionnistes. Elle fit de la résistance assez longtemps, même lorsqu’elle fut reprise par Bousod, le mari de la petite fille de Goupil, et Valadon, son beau-frère. Elle ne commença à s’ouvrir aux impressionnistes que sous l’influence éphémère de Théo van Gogh.

L’exposition rencontra un accueil très favorable. Degas lui dit que sa peinture vaporeuse cachait un dessin de plus en plus sûr, ce qui était le compliment suprême. Gustave Geffroy de La Vie artistique lui consacra des pages très élogieuses. L’année suivante, Morisot rendit visite à Monet, à Giverny, pour admirer ses cathédrales et pour conjurer sa tristesse : sa sœur, Yves Gobillard, venait de mourir en 1893, et Chabrier, en 1894, Berthe Morisot se consacra à la représentation de sa fille Julie, de ses nièces, Paule et Jeanne Gobillard : Le Patinage au bois de boulogne (1894). Caillebotte ayant légué sa collection au musée du Luxembourg pour y faire entrer l’impressionnisme, on s’aperçut qu’il ne possédait pas une seule toile de Berthe Morisot. Sur instance de Mallarmé, l’État français acquit pour le musée du Luxembourg Jeune femme en toilette de bal pour que l’une des figures de proue du mouvement impressionniste soit représentée.

Berthe Morisot qui habita de 1883 à 1892 au 40 rue de Villejust, tomba malade à la mi-février 1895. Elle avait, selon certaines biographies, une congestion pulmonaire, ou une grippe, contractée en soignant sa fille du même mal mais contaminée par son époux, elle souffrait probablement de la même forme de syphilis pulmonaire depuis plusieurs années ce que le politiquement correct ne pouvait énoncer. Elle mourut le 2 mars 1895 au 10 rue Weber à Paris, et légua la plupart de ses œuvres à ses amis artistes : Degas, Monet, Renoir. Malgré sa riche production artistique, le certificat de décès mentionnait : « sans profession ». Elle est enterrée dans le caveau des Manet au cimetière de Passy où il est simplement gravé : « Berthe Morisot, veuve d’Eugène Manet ».

La mort de l’artiste n’entraîna cependant pas la dispersion du groupe impressionniste ; ses compagnons de lutte aimaient et protégeaient sa fille, dont Mallarmé était le tuteur et que Renoir emmenait peindre avec lui. Degas la maria en 1900 au fils d’Henri Rouart. Pour le premier anniversaire de sa mort, du 5 au 21 (ou 23) mars 1896, Durand-Ruel, aidé de Degas, Rouart et de sa fille Julie organisèrent une rétrospective de ses œuvres d’environ trois cents à quatre cents toiles.

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Sources : Wikipédia, YouTube.

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