Barthélemy Boganda, homme politique.

Barthélemy Boganda (4 avril 1910 ? – 29 mars 1959) est un homme politique centrafricain et français, connu pour ses desseins panafricains concernant l’Afrique centrale. En République centrafricaine, Boganda a été érigé en « père fondateur » de la nation lors de l’indépendance en 1960 à laquelle il a contribué en tant qu’éphémère premier président (1958-1959). En 1958, sous son impulsion le territoire français de l’Oubangui-Chari est transformé en un État baptisé « République centrafricaine », qu’il dote d’un drapeau, d’une devise et d’un hymne conçus originellement pour l’Afrique-Équatoriale française (AEF).

Orphelin recueilli par les missionnaires, Barthélemy Boganda est en 1938 le premier prêtre indigène ordonné d’Oubangui-Chari. En 1946, alors que les instances métropolitaines françaises souhaitent la représentation des colonies au Parlement dans le cadre de l’Union française, Boganda se fait élire député au palais Bourbon avec le soutien du diocèse de Bangui sous l’étiquette MRP. En Oubangui, il crée son propre parti en 1949, le MESAN à consonance messianique dont le credo est « nourrir, vêtir, guérir, instruire, loger » les Africains sur le modèle de l’Occident chrétien anticommuniste. Rapidement Boganda gêne et inquiète l’ordre colonial établi : en 1950 il renonce à l’état ecclésiastique en épousant une Française, rompt avec le MRP, délaisse la métropole pour l’Oubangui-Chari où il s’impose comme un tribun autochtone de premier plan.

En 1955, le processus d’émancipation des colonies apparaît comme inéluctable. La forte audience territoriale du MESAN fait de Boganda un personnage-clé pour l’Oubangui. Les colons de Bangui menés par Roger Guérillot, jusqu’alors hostiles à Boganda, cofondent avec le MESAN l’Intergroupe libéral oubanguien (ILO). Boganda dispose ainsi de leur soutien dans la conquête de la mairie de Bangui en 1956 et lors des élections territoriales de mars 1957 où le MESAN remporte la totalité des 50 sièges à pourvoir. L’enjeu de ces élections est particulièrement important, car conformément à la loi-cadre Defferre, elles conduisent à la nomination du premier gouvernement local. Peu intéressé par les besognes prosaïques qu’implique la gestion quotidienne des affaires, Boganda délègue beaucoup, notamment à des métropolitains, se faisant un adepte de la coopération. Il n’entre donc pas dans le gouvernement de la loi-cadre, se contente de nommer les ministres et insiste pour que la fonction publique soit réservée aux sympathisants du MESAN ou aux apolitiques.

En 1957, tentant vainement d’obtenir l’adhésion du MESAN à leur mouvement politique inter-continental, le Rassemblement démocratique africain de l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny offre à Boganda la présidence du Grand Conseil de l’Afrique-Équatoriale française (AEF). Ce poste honorifique permet à Boganda d’acquérir une certaine audience à l’échelle régionale. Boganda rallie dans ce contexte les thèses panafricaines et s’érige en défenseur de l’AEF, appelée à devenir la « République centrafricaine ». Plus audacieux, il imagine les États-Unis de l’Afrique latine, au-delà de l’AEF, incluant l’Angola ou le Congo belge. Ses idées suscitent peu d’enthousiasme, Boganda doit proclamer la création de la République centrafricaine pour le seul territoire de l’Oubangui-Chari, espérant encore pouvoir convaincre les dirigeants de l’Afrique centrale. Le sort de l’AEF est pourtant scellé, et Boganda meurt dans un accident d’avion trois jours avant sa dissolution pure et simple. Sa disparition, à la veille des indépendances, crée un vide politique considérable en République centrafricaine, au point que Boganda est toujours un référent obligé pour tout homme politique centrafricain.


Boganda, carte maximum, Centrafrique, 1960.

Après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement français décide de faire participer ses colonies à l’Assemblée constituante. Au sein d’une circonscription rassemblant l’Oubangui-Chari et le Tchad, deux députés sont élus, représentant l’un les colons, l’autre les autochtones. Aux deux Assemblées constituantes successives, les colons européens élisent le vétérinaire René Malbrant, tandis que les indigènes plébiscitent le commandant français Guy Baucheron de Boissoudy. Cette situation n’est pas sans indigner quelques Oubanguiens qui, menés par Abel Goumba, sollicitent Boganda. Mgr Grandin accueille très favorablement cette démarche. La candidature de Boganda présente un double intérêt : contrecarrer l’expansion de la gauche athée dans la colonie ; défendre le point de vue des missions dans les instances de la métropole. La campagne électorale de Boganda est ainsi prise en charge par Mgr Grandin.

À l’occasion des élections législatives du 10 novembre 1946, l’Oubangui-Chari devient une circonscription à part entière pour le collège des autochtones. L’abbé est élu face à trois adversaires par 10 846 voix représentant 47,26 % des suffrages exprimés1. Tout naturellement, il est inscrit dans le groupe parlementaire démocrate-chrétien du Mouvement républicain populaire (MRP) au sein duquel il est accueilli par l’abbé Pierre. Les missionnaires le font chaperonner par le député français du Cameroun Louis-Paul Aujoulat. De sa rencontre avec ce dernier naît le 7 juin 1948 à Lyon, l’association des Amis de l’Afrique noire, au sein de laquelle il exerce la fonction de vice-président.

Dès son arrivée en France, l’abbé-député entreprend de nombreuses conférences et prêches dans le but de faire connaître aux métropolitains la situation en Oubangui. À l’Assemblée nationale, il se présente à ses collègues parlementaires comme le fils d’un cannibale polygame35 et siège dans son habit ecclésiastique. Au début, il se contente d’apposer son nom à des propositions du MRP relatives aux territoires d’outre-mer (TOM), mais en 1949, il présente à titre personnel trois propositions. La première, du 17 juin, est une résolution invitant le gouvernement à supprimer le laissez-passer administratif à l’intérieur des territoires de l’AEF. La seconde, du 24 novembre, est une loi visant à introduire la notion de propriété clanique dans la législation. Enfin, celle du 9 décembre est une loi tendant à renforcer la loi Houphouët-Boigny sur le travail forcé36, pratiqué encore à grande échelle. Aucune de ses propositions, jugées farfelues, n’est adoptée.

Si l’on excepte un bref passage à la Commission du ravitaillement, l’abbé-député est un membre constant de la Commission des TOM. Il est nommé le 6 octobre 1947 rapporteur de la proposition de résolution du député du Tchad Gabriel Lisette invitant le gouvernement à relever le prix fixé pour les producteurs de coton d’AEF, payés 2,50 francs le kilogramme contre 7 francs pour ceux d’AOF. Il faut dix mois et demi pour que le texte passe. Dépité, Boganda se désintéresse progressivement de son travail à la commission. Le 1er juin 1950, le député sénégalais Léopold Sédar Senghor est obligé de le remplacer comme rapporteur sur cinq propositions de loi. Cette attitude sans doute a dû laisser perplexes certains de ses collègues africains, comme le député gabonais Jean-Hilaire Aubame, auteur de trois de ces propositions.

Outre ce désintérêt pour ses devoirs parlementaires, Boganda est en désaccord avec le MRP. Au moment de l’insurrection malgache de 1947, il est troublé de voir son groupe soutenir la levée d’immunité des trois députés malgaches. Il peine à dissimuler sa déception sur la politique coloniale menée par le ministre de la France d’Outre-mer de l’époque, le MRP Paul Coste-Floret. Son protecteur Aujoulat quitte le parti en novembre 1948. Boganda reste, mais son action gêne. Son journal Pour sauver un peuple, fondé le 1er juillet 1948, tiré entre 2 000 et 3 000 exemplaires par le secrétariat de l’Assemblée nationale à Paris, et dont il est le seul rédacteur33, attire en août 1949 l’attention des partis de gauche. L’Humanité, organe du Parti communiste français (PCF) reproduit en intégralité son virulent numéro groupé 5 et 6. Cette publicité lui vaut de solides inimitiés. Boganda finit par quitter le MRP en juin 1950.

Reconduit dans ses fonctions de grand conseiller de l’AEF après les élections territoriales du 31 mars 1957, Boganda est élu à l’unanimité président du Grand Conseil le 17 juin. La vice-présidence revient au Tchadien François Tombalbaye, dont le parti, le Rassemblement démocratique africain (RDA), est la principale formation à l’assemblée. En concédant la présidence à Boganda, le RDA espère obtenir l’affiliation du MESAN à leur organisation. Dans ce même but, le dirigeant du Tchad Gabriel Lisette, membre du RDA, autorise la création d’une section locale du MESAN sur son territoire.

Boganda est le premier Africain à se hisser au poste de président du Grand Conseil de l’AEF à Brazzaville. Ses qualités de tribun séduisent ses pairs, il en use pour critiquer l’administration coloniale. Il accuse cette dernière de ne pas les avoir suffisamment préparés aux nouvelles prérogatives octroyées par la loi-cadre. Il condamne le caractère bicéphale des Conseils de gouvernement territoriaux qui ne peut, pour lui, qu’augmenter les charges financières des contribuables. Son état de grâce à Brazzaville est de courte durée. La direction du RDA comprend que Boganda n’a nullement l’intention de s’affilier à eux. Lors de la nouvelle élection du président du Grand Conseil le 25 mars 1958, le RDA présente son propre candidat, le Tchadien Ahmed Kotoko108. Contre toute attente, Boganda est réélu président du Grand Conseil par 10 voix contre 9 grâce au vote du Tchadien Mahamat Hassan, débauché par le grand conseiller MESAN Étienne Ngounio. Réélu, Boganda élimine Tombalbaye de la vice-présidence.

En mai 1958, le général de Gaulle revient au pouvoir en métropole. Un Comité consultatif chargé des questions relatives aux territoires d’outre-mer est formé par les Sénégalais Léopold Sédar Senghor et Lamine Gueye, l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, le Malgache Philibert Tsiranana, et le Tchadien Gabriel Lisette. Bien que première personnalité politique de l’AEF, Boganda n’est pas associé au groupe : Paris n’a jamais prêté beaucoup d’attention à Boganda, jugé trop excentrique. Depuis plus de dix ans, celui-ci est resté à l’écart des parlementaires africains de Paris, auxquels il reproche leur inféodation à des partis politiques métropolitains. Ensuite, il semble qu’à Paris, le président du Grand Conseil de l’AEF a été discrédité par ses attaques contre l’administration coloniale et par sa mauvaise presse à la suite de la parution des articles de Max-Olivier Lacamp dans Le Figaro. Cette nouvelle le frustre. Lui qui avait affirmé le 21 octobre 1957 du haut de la tribune du Grand Conseil que « la France doit vivre chez nous par sa culture, sa technique, ses lois, son idéal », qui clamait que « l’indépendance était une dangereuse illusion », désormais il réclame la reconnaissance du droit à l’autodétermination.

Dorénavant, à l’instar de Léopold Sédar Senghor, il se soucie de préserver les grands ensembles fédéraux. En juillet 1958, une délégation du MESAN menée par Abel Goumba prend part au congrès de Cotonou où est créé, sous l’impulsion de Senghor, le Parti du regroupement africain (PRA), un nouveau rassemblement inter-africain clairement fédéraliste et concurrent au RDA. Le MESAN s’y affilie.

Le 1er décembre 1958, la République centrafricaine est proclamée, l’Assemblée territoriale devient constituante et législative, Barthélemy Boganda accède au poste de président du gouvernement. Le 6 décembre, son cabinet est formé : Abel Goumba est aux Finances, David Dacko à l’Intérieur, à l’Économie et au Commerce126, Roger Guérillot définitivement écarté.

Lors de sa présidence, Boganda met en place les institutions de la République centrafricaine. Il contribue ainsi personnellement à l’élaboration du drapeau national – initialement conçu pour la grande République centrafricaine -, il énonce la devise du pays « Unité, Dignité, Travail » à laquelle est attaché le principe « Zo kwe zo » (« tout être humain est une personne » ou « un homme en vaut un autre »), enfin il compose en partie les paroles en français de l’hymne national La Renaissance138. Par ailleurs, si la constitution du 16 février 1959 a été élaborée par un jeune auditeur du Conseil d’État français, le long préambule détaillant toutes les libertés publiques reconnues aux Centrafricains est de lui. Boganda établit lui-même les listes du MESAN pour les élections législatives centrafricaines du 5 avril 1959. Il prend soin d’intégrer dans chacune d’entre elles un Européen. Lors de ces élections organisées au scrutin de liste, soixante sièges au total sont à pourvoir dans quatre circonscriptions. Seul le MESAN concourt, la commission de vérification ayant annulé dans trois circonscriptions les listes adverses, « irrégulièrement déposées ».

Sous sa présidence, la fonction publique est purgée des « ennemis du MESAN ». Déjà sous la loi-cadre, Boganda avait souhaité contenir le développement en Oubangui-Chari d’une section RDA efficace. Zanga-Djalle, vice-président du bureau RDA et fonctionnaire du cadastre, s’était ainsi vu écarté de l’arène politique par une mutation à Bazoum. Cette politique d’intimidation est étendue à la section centrafricaine du MSA. Des troubles s’étaient produits à Boali-Bossembélé, fief de la section du MSA. Boganda avait alors ordonné l’intervention des forces publiques, il se voit rappeler que le maintien de l’ordre et de la sécurité dépend encore du haut-commissaire de la France. En réaction, Boganda accuse les dirigeants de la section MSA, l’ingénieur Augustin Dallot-Béfiot et l’enseignant Antoine Bangui, de « saboter l’action du gouvernement » et les révoque de la fonction publique.

Le 3 avril, une foule immense se presse à ses obsèques organisées en la cathédrale Notre-Dame de Bangui. Le soir même, il est inhumé à Bobangui aux côtés de son père Swalakpé. Les hommages se succèdent. Le 12 mai 1959, le Premier ministre français Michel Debré le cite par décret à l’ordre de la Nation. Le 21 mai suivant, le général de Gaulle le nomme à titre posthume chevalier de la Légion d’honneur. En République centrafricaine, Boganda est proclamé « père fondateur ». Le 29 mars devient un jour férié156. Chaque année, le gouvernement se rend au grand complet sur le lieu de l’accident où un village a été créé.

Sa mort est suivie par une guerre de succession entre ses partisans, chacun se revendiquant comme « l’héritier de Boganda ». En 1959, la bataille se bipolarise entre deux hommes : Abel Goumba, président du gouvernement par intérim, se positionne comme le fils spirituel de Boganda, tandis que David Dacko, cousin du défunt, met en avant son lien familial, devenant même dans la rhétorique le neveu de Boganda. Grâce au soutien des colons de la chambre de Commerce de Bangui, Dacko s’impose face à Goumba et, une fois élu président de la République, entreprend la création d’un musée à la mémoire de Boganda. Le projet est bien avancé lorsque survient le coup d’État de la Saint-Sylvestre, mené par Jean-Bédel Bokassa, un cousin de Boganda et de Dacko. L’historien Pierre Kalck rapporte que Boganda ne l’aurait rencontré qu’une seule fois et qu’il aurait décelé chez ce parent une certaine « fragilité mentale ». Peut-être par solidarité familiale, Dacko l’avait promu dans de hautes fonctions militaires. Une fois parvenu au pouvoir, Bokassa se présente à son tour comme un neveu de Boganda. Il reprend à son compte le projet du musée consacré à Boganda, qu’il inaugure en 1966. Dans la foulée, il construit à Bobangui un mausolée en hommage à Boganda sous la forme d’une large structure blanche ancrée dans le style futuriste des années 1970.

Cette instrumentalisation de Boganda par les dirigeants centrafricains successifs a terni son image. La société centrafricaine est partagée au sujet du « père fondateur ». Dans les années 1990, l’historien Jean-Dominique Pénel constate que parmi les adultes, nombreux sont ceux préférant ne plus entendre parler des idées de Boganda, lassés d’avoir subi la propagande et les slogans des régimes passés. Quant aux jeunes Centrafricains, Pénel observe chez eux une méconnaissance quasi totale des valeurs défendues par Boganda.

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Sources : Wikipédia, YouTube.

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