Antonio Lucio Vivaldi, violoniste et compositeur.

Antonio Lucio Vivaldi, né le 4 mars 1678 à Venise et mort le 28 juillet 1741 à Vienne, est un violoniste et compositeur de musique classique italien. Il était également prêtre de l’Église catholique.

Vivaldi a été l’un des virtuoses du violon les plus célèbres et les plus admirés de son temps (« incomparable virtuose du violon » selon un témoignage contemporain)R 1 ; il est également reconnu comme l’un des plus importants compositeurs de la période baroque, en tant qu’initiateur principal du concerto de soliste, genre dérivé du concerto grosso. Son influence, en Italie comme dans toute l’Europe, a été considérable, et peut se mesurer au fait que Bach a adapté et transcrit plus d’œuvres de Vivaldi que de n’importe quel autre musicien.

Son activité s’est exercée dans les domaines de la musique instrumentale, particulièrement au violon mais également dédiée à une exceptionnelle variété d’instruments, de la musique religieuse et de la musique lyrique ; elle a donné lieu à la création d’un nombre considérable de concertos, sonates, opéras, pièces religieuses : il se targuait de pouvoir composer un concerto plus vite que le copiste ne pouvait le transcrire.

Antonio Vivaldi, carte maximum, Monaco 2/05/1978.

Prêtre catholique, sa chevelure rousse le fit surnommer il Prete rosso, « Le Prêtre roux », sobriquet peut-être plus connu à Venise que son véritable nom, ainsi que le rapporte Goldoni dans ses Mémoires. Comme ce fut le cas pour de nombreux compositeurs du XVIIIe siècle, sa musique, de même que son nom, fut vite oubliée après sa mort. Elle ne devait retrouver un certain intérêt auprès des érudits qu’au XIXe siècle, à la faveur de la redécouverte de Jean-Sébastien Bach ; cependant, sa véritable reconnaissance eut lieu pendant la première moitié du XXe siècle, grâce aux travaux d’érudits ou musicologues tels Arnold Schering ou Alberto Gentili, à l’implication de musiciens tels Marc Pincherle, Olga Rudge, Angelo Ephrikian, Gian Francesco Malipiero ou Alfredo Casella, et à l’enthousiasme d’amateurs éclairés comme Ezra Pound.

Aujourd’hui, certaines de ses œuvres instrumentales, notamment les quatre concertos connus sous le titre Les Quatre Saisons, comptent parmi les plus populaires du répertoire classique.


La vie de Vivaldi est mal documentée, car aucun biographe sérieux, avant le XXe siècle, ne s’est préoccupé de la retracer. On s’appuie donc sur de rares témoignages directs, ceux du président de Brosses, du dramaturge Carlo Goldoni, de l’architecte allemand Johann Friedrich von Uffenbach, qui rencontrèrent le musicien, sur les quelques écrits de sa main et sur les documents de toutes natures retrouvés dans divers fonds d’archives en Italie et à l’étranger. Pour donner deux exemples concrets, ce n’est qu’en 1938 que Rodolfo Gallo a pu déterminer avec exactitude la date de son décès, portée sur l’acte retrouvé à Vienne, et en 1962, Éric Paul celle de sa naissance par l’identification de son acte de baptême. La date de 1678 qu’on supposait auparavant n’était jusqu’alors qu’une estimation de Marc Pincherle, basée sur les étapes connues de son parcours ecclésiastique.

Il en résulte que de nombreuses lacunes et imprécisions entachent encore sa biographie, et que se poursuivent les travaux de recherche. Certaines périodes de sa vie demeurent complètement obscures, de même que ses nombreux voyages entrepris ou supposés dans la péninsule italienne et à l’étranger. Cela est également vrai pour la connaissance de son œuvre, et l’on continue encore à retrouver des ouvrages de sa composition que l’on croyait perdus ou qui demeuraient inconnus, tel l’opéra Argippo, retrouvé en 2006 à Ratisbonne.

Antonio Vivaldi nait à Venise le vendredi 4 mars 1678 ; ce même jour, se produit dans la région un tremblement de terre. Il est immédiatement ondoyé, dès sa naissance, par la sage-femme et nourrice, Margarita Veronese, probablement en raison du séisme, ou parce que sa naissance s’était déroulée dans de mauvaises conditions qui pouvaient faire craindre la mort du nouveau-né. L’hypothèse selon laquelle il était chétif et fragile dès sa naissance est plausible, car il devait plus tard toujours se plaindre d’une santé déficiente, résultant d’un « resserrement de poitrine » (strettezza di petto) que l’on imagine être une forme d’asthme. Le baptême fut administré deux mois plus tard, le 6 mai 1678, à l’église paroissiale San Giovanni in Bragora dont dépendait le domicile de ses parents, à la Ca’ Salomon, Campo Grande dans le sestiere del Castello, un des six quartiers de Venise.

Son père, Giovanni Battista Vivaldi (vers 1655T 4-1736), fils d’un tailleur de Brescia, était barbier, jouant du violon pour distraire les clients, puis devint violoniste professionnel ; sa mère, Camilla Calicchio, fille également d’un tailleur, était venue de la Basilicate. Ils s’étaient mariés en 1676 dans cette même église et eurent huit autres enfants, dont deux moururent en bas âge, successivement : Margherita Gabriella (1680-?), Cecilia Maria (1683-?), Bonaventura Tommaso (1685-?), Zanetta Anna (1687-1762), Francesco Gaetano (1690-1752), Iseppo Santo (1692-1696), Gerolama Michaela (1694-1696), enfin Iseppo Gaetano (1697-?). Antonio, l’aîné, devait être le seul musicien parmi les enfants ; cependant, deux de ses neveux furent copistes de musique. On avait les cheveux roux de façon héréditaire dans la famille Vivaldi, et Giovanni Battista était nommé Rossi dans les registres de la Chapelle ducale ; Antonio allait hériter de ce trait physique, qui lui valut son surnom de “Prêtre roux” pour la postérité.

Le père avait probablement plus de goût pour la musique que pour son métier de barbier, car on le vit engagé dès 1685 comme violoniste de la basilique Saint-Marc, haut lieu de la musique religieuse en Italie où s’étaient illustrés plusieurs grands noms de la musique, notamment Adrien Willaert, Claudio Merulo, les Giovanni Gabrieli, Claudio Monteverdi, Francesco Cavalli. Sa célèbre maîtrise fut confiée la même année à Giovanni Legrenzi. Il fut, tout comme celui-ci et comme son collègue Antonio Lotti, parmi les fondateurs du Sovvegno dei musicisti di Santa Cecilia, confrérie de musiciens vénitiens. À son engagement à la Chapelle ducale, il ajouta à partir de 1689 ceux de violoniste au teatro San Giovanni Grisostomo et à l’Ospedale dei Mendicanti.

Antonio apprit le violon auprès de son père, et il se révéla précoce et extrêmement doué. Tôt admis à la Chapelle ducale, il reçut peut-être, aucune preuve n’ayant été retrouvée, des leçons de la part de Legrenzi lui-même. Ce ne put être cependant que de courte durée, et l’influence reçue minime, car celui-ci mourut en 1690. Il est certain néanmoins qu’Antonio Vivaldi bénéficia pleinement de l’intense vie musicale qui animait la basilique Saint-Marc et ses institutions, où de temps à autre il prenait la place de son père.

Celui-ci le destina très tôt à l’état ecclésiastique : ce fut probablement la recherche, pour son fils, d’une belle carrière qui le guida et fut la raison principale du choix de cette orientation, plus qu’une vocation du jeune garçon pour l’état sacerdotal, auquel il n’allait se consacrer que très peu durant sa vie grâce à des dispenses de l’Église, ce qui allait lui permettre de développer toutes ses aptitudes pour la musique et la composition ; cependant il porta la soutane sa vie durant et lisait son bréviaire tous les jours.

Il commença donc, à partir de l’âge de dix ans, à suivre les cours nécessaires à l’école de la paroisse San Geminiano et, le 18 septembre 1693, ayant atteint l’âge minimum requis de quinze ans, il reçut la tonsure ecclésiastique des mains du patriarche de Venise, le cardinal Badoaro. Il n’abandonna pas pour autant ses activités musicales et fut d’ailleurs nommé, en 1696, musicien surnuméraire à la Chapelle ducale, et reçu membre de l’Arte dei sonadori, guilde de musiciens. Il reçut les ordres mineurs à la paroisse San Giovanni in Oleo, sous-diaconat le 4 avril 1699, à l’âge de vingt-et-un ans, puis le diaconat le 18 septembre 1700. Enfin, âgé de vingt-cinq ans, il fut ordonné prêtre le 23 mars 1703. Il a pu continuer à vivre dans sa famille, avec ses parents, jusqu’à leur décès, le père et son fils continuant d’ailleurs à travailler en étroite collaboration.

Bien que mal connu, le rôle qu’a joué Giovanni Battista Vivaldi dans la vie et le développement de la carrière de son fils Antonio semble d’une importance primordiale et prolongée, puisqu’il décéda cinq ans seulement avant lui. Il semble qu’il lui ait ouvert bien des portes, notamment dans le milieu de l’opéra, et qu’il l’ait accompagné dans de nombreux voyages.

Puisque Vivaldi avait été chargé d’enseigner la composition des concertos aux jeunes filles de la Pietà en 1705, il faut supposer qu’il avait déjà, à cette époque, une solide réputation de compositeur. Ses œuvres avaient déjà circulé sous la forme de copies manuscrites, pratique courante à cette époque, quand il décida, en 1705, de faire imprimer son Opus I (douze Sonates en trio, op. 1, conclues par son œuvre La Follia, la plus connue) par l’éditeur de musique le plus connu de Venise, Giuseppe Sala.

Vivaldi donna plusieurs concerts chez l’abbé de Pomponne, ambassadeur de France.

Cette même année, Vivaldi prit part à un concert chez l’abbé de Pomponne, alors ambassadeur de France : il resta, en quelque sorte, le musicien officiel de la représentation diplomatique française à Venise. Lui et ses parents habitèrent dès lors dans un appartement du campo dei SS. Filippo e Giacomo, situé derrière la basilique Saint-Marc.

En 1706, les Vivaldi, père et fils, furent désignés dans un guide destiné aux étrangers (Guida dei forestieri en Venezia) comme les meilleurs musiciens de la ville.

Par sa virtuosité et la diffusion croissante de ses compositions, Vivaldi sut s’introduire efficacement dans les milieux les plus aristocratiques. Il fréquentait le palais Ottoboni. En 1707, lors d’une fête donnée par le prince Ercolani, ambassadeur de l’empereur d’Autriche, il participa à une joute musicale qui l’opposa à un autre prêtre violoniste, don Giovanni Rueta, musicien bien oublié aujourd’hui, mais protégé de l’Empereur lui-même : un tel honneur ne pouvait être accordé qu’à un musicien jouissant déjà de la plus haute considération.

Dans la même période, plusieurs musiciens étrangers vinrent séjourner à Venise. Pendant le carnaval de 1707, Alessandro Scarlatti fit représenter au théâtre San Giovanni Grisostomo (celui-là même où le père Vivaldi était violoniste) deux de ses opéras de facture napolitaine : Mitridate Eupatore et Il trionfo della libertà. L’année suivante, son fils Domenico Scarlatti, le fameux claveciniste, vint étudier auprès de Gasparini auquel s’était lié d’amitié son père. Enfin, Georg Friedrich Haendel, sur la fin de son séjour italien, vint aussi dans la ville des lagunes et y fit représenter triomphalement, le 26 décembre 1709, son opéra Agrippina dans le même théâtre San Giovanni Grisostomo. Même si l’on n’en a pas de preuve certaine, tout — les lieux fréquentés comme les personnes côtoyées — laisse penser que Vivaldi ne put pas manquer de rencontrer ces confrères, qui lui donnèrent peut-être l’envie de s’essayer à l’opéra. Cependant, aucune influence stylistique ne peut se déceler dans leurs productions respectives.

Vivaldi eut encore l’occasion d’accroître le cercle de ses relations de haut rang avec la venue à Venise, en voyage privé de décembre 1708 à mars 1709, du roi Frédéric IV de Danemark. Celui-ci arrivait à Venise avec l’intention de profiter du célèbre carnaval vénitien. Débarqué le 29 décembre, il assista dès le lendemain à la Pietà à un concert dirigé par Vivaldi. Il devait pendant son séjour entendre plusieurs fois d’autres concerts des jeunes filles sous la direction de leur maestro di violino qui finalement dédia à Sa Majesté, avant son départ le 6 mars, son opus 2 consistant en douze sonates pour violon et basse continue, juste sorti des presses de l’imprimeur vénitien Antonio Bortoli. Le souverain, amateur de musique italienne et de belles femmes, emportait également douze portraits de jolies Vénitiennes peints en miniature à son intention par Rosalba Carriera.

L’empressement de Vivaldi à l’égard du roi du Danemark était peut-être lié à l’évolution de ses rapports avec les gouverneurs de la Pietà dont le vote, en février, avait mis fin à ses fonctions. De cette date à septembre 1711, un flou complet entoure ses activités. Cependant, son père fut engagé en 1710 comme violoniste au théâtre Sant’Angelo, l’un des nombreux théâtres vénitiens produisant des opéras10. C’est peut-être par son entremise qu’Antonio approfondit ses relations avec Francesco Santurini, douteux impresario de ce théâtre qui y était également l’associé de Gasparini.

On sait en tout cas qu’il était présent à Brescia en février 1711, et l’hypothèse d’un voyage à Amsterdam est évoquée.

C’est seulement en 1713 — il avait trente-cinq ans — que Vivaldi aborda pour la première fois l’opéra, la grande affaire de tout compositeur de renom dans cette Italie du début du XVIIIe siècle.

Son statut d’ecclésiastique, déjà bien compromis de réputation par son comportement inhabituel, le fit peut-être hésiter à prendre ce tournant plus tôt. Si l’on admirait le virtuose et le compositeur, sa personnalité fantasque et le caractère ambigu de son entourage féminin sentaient le scandale. Or, œuvrer dans le milieu interlope de l’opéra n’était pas le gage de la meilleure moralité, à bien des points de vue ; cette activité jouissait d’un tel succès populaire qu’elle devait nécessairement intéresser les aigrefins ou tourner la tête des chanteurs les plus talentueux, dont les caprices, les excentricités et les aventures défrayaient la chronique.

Les méthodes des impresarios étaient parfois d’une honnêteté toute relative. Ainsi, Gasparini et Santurini s’étaient retrouvés au tribunal pour avoir enlevé et rossé deux cantatrices mécontentes de n’avoir pas reçu le salaire convenu — l’une d’elles était même très malencontreusement tombée dans un canal ; la bienveillance des juges avait pu être obtenue grâce à l’intervention de relations influentes.

Venise s’étourdissait dans les fêtes11 comme pour exorciser son irréversible déclin politique, dont le contrepoint était une floraison artistique sans précédent. La folie de l’opéra en faisait partie : Marc Pincherle a chiffré à quatre cent trente-deux le nombre d’œuvres représentées à Venise entre 1700 et 1743. Comment un musicien de génie et ambitieux pouvait-il rester à l’écart de ce mouvement qui pouvait amener la célébrité et les plus grands succès ?

Le livret du premier opéra de Vivaldi, Ottone in villa fut écrit par Domenico Lalli, en fait le pseudonyme de Sebastiano Biancardi, poète napolitain et escroc à ses heures qui, recherché par la police de Naples, était venu se réfugier à Venise. Les deux hommes s’étaient liés d’amitié. Le nouvel opéra fut créé non à Venise, mais pour une raison inconnue, le 17 mai 1713 à Vicence où Vivaldi s’était rendu, avec son père, après avoir obtenu un congé temporaire des autorités de la Pietà. Pendant son séjour à Vicence, il participa à l’exécution de son oratorio la Vittoria navale predetta dal santo pontefice Pio V Ghisilieri (dont la musique a été perdue) à l’occasion de la canonisation du pape Pie V.

Après Ottone in villa, Vivaldi devait composer un ou plusieurs opéras presque chaque année jusqu’en 1739 : à l’en croire, il en aurait écrit 94. Cependant, le nombre de titres identifiés reste inférieur à 50 et moins de 20 ont été conservés, complètement ou partiellement en ce qui concerne la musique qui, contrairement aux livrets, n’était jamais imprimée.

Vivaldi déploya pendant ces années une activité prodigieuse, produisant pas moins de quatre nouveaux opéras en 1726 (Cunegonda puis La Fede tradita e vendicata à Venise, La Tirannia castigata à Prague, enfin Dorilla in Tempe déjà cité) et en 1727 (Ipermestra à Florence, Farnace à Venise, Siroè Re di Persia à Reggio d’Émilie, Orlando furioso à Venise). En 1727 fut également édité à Amsterdam l’opus 9, nouveau recueil de douze concertos pour violon intitulé La Cetra. Ces diverses créations supposent de nombreux voyages, car il ne déléguait à personne le soin de monter ses opéras, qu’il finançait d’ailleurs sur ses deniers personnels. Le 19 septembre 1727, un important concert de ses œuvres (la sérénade L’Unione della Pace et di Marte et un Te Deum dont les partitions sont perdues) fut organisé chez l’ambassadeur de France à Venise, le comte de Gergy, à l’occasion de la naissance des filles jumelles du roi de France Louis XV, Élisabeth et Henriette.

Seuls deux opéras marquent l’année 1728 (Rosilena ed Oronta à Venise puis L’Atenaide à Florence). Mais cette année fut ponctuée par d’autres événements importants : publication à Amsterdam de l’opus 10 consistant en six concertos pour flûte, les premiers jamais consacrés à cet instrument21 ; décès de sa mère le 6 mai ; en septembre, le musicien est présenté à l’empereur Charles VI du Saint-Empire, fervent mélomane, faisant peut-être à la suite de la dédicace à ce souverain de l’opus 9.

L’empereur Charles VI (1685-1740), tableau de Martin van Mytens le jeune.
L’empereur avait en vue de faire du port franc de Trieste, possession autrichienne au fond de l’Adriatique, la porte des territoires autrichiens et de l’Europe centrale vers la Méditerranée, et donc de concurrencer directement Venise qui jouait ce rôle depuis des siècles. Il était venu sur place pour établir les bases de ce projet, et rencontra le compositeur à cette occasion — on ne sait où exactement. Le séjour de Vivaldi auprès du souverain aurait pu durer deux semaines, selon une lettre de l’abbé Conti à Madame de Caylus, qui rapporte : « l’empereur a entretenu longtemps Vivaldi sur la musique ; on dit qu’il lui a plus parlé à lui seul en quinze jours qu’il ne parle à ses ministres en deux ans ». L’empereur fut certainement enchanté de cette rencontre : il donna à Vivaldi « beaucoup d’argent », ainsi qu’une chaîne et une médaille d’or, et il le fit chevalier. On ne sait pas, toutefois, si cette rencontre fut suivie d’un possible séjour à Vienne voire à Prague, d’un engagement officiel ou d’une promesse de poste dans la capitale impériale.

Ces années d’intense activité furent suivies d’une nouvelle période où les faits et gestes de Vivaldi sont pratiquement inconnus, à part son déménagement en mai 1730 dans une maison près du Palazzo Bembo, dont les fenêtres donnaient sur le Grand Canal ; période pendant laquelle le compositeur voyagea probablement à travers l’Europe, ne reparaissant à Venise qu’à partir de 1733. Peu d’œuvres sont datables de manière sûre des années 1729 et 1730. Les quelques opéras composés jusqu’en 1732 furent montés hors de Venise (Alvilda, Regine dei Goti à Prague et Semiramide à Mantoue en 1731, La fida ninfa à Vérone et Doriclea25 à Prague en 1732).

C’est en janvier 1733 que Vivaldi fit un retour remarqué — au moins par sa musique — à Venise à l’occasion du transfert à la basilique Saint-Marc des reliques du doge Saint Pietro Orseolo : on y exécuta un Laudate Dominum solennel de sa composition, sans qu’on sache d’ailleurs s’il en dirigea l’interprétation. En février de la même année fut représentée à Ancône une adaptation du Siroé de 1727, puis en novembre au Sant’Angelo fut monté Montezuma et trois mois plus tard, L’Olimpiade, l’un de ses plus beaux opéras repris presque aussitôt à Gênes. C’est cette même année qu’il rencontra le voyageur anglais Edward Holdsworth auquel il expliqua qu’il ne voulait plus faire éditer ses œuvres, trouvant un meilleur profit à les vendre à l’unité aux amateurs. Le même Holdsworth devait, en 1742, acquérir douze sonates de Vivaldi pour le compte de son ami Charles Jennens, librettiste de Haendel.

1735 fut à nouveau une année « record » en matière d’opéras avec deux ouvrages montés au teatro filarmonico de Vérone pendant le carnaval : L’Adelaide et Il Tamerlano et deux autres produits pour la première fois au théâtre San Samuele de Venise : La Griselda et Aristide. Ce furent les deux seules œuvres de Vivaldi composées pour ce théâtre, propriété de la riche famille Grimani qui possédait aussi le prestigieux théâtre San Giovanni Grisostomo et un fastueux palais situé sur le Grand Canal. Elles mirent Vivaldi en contact avec l’un des grands écrivains italiens de son temps, le jeune Carlo Goldoni alors âgé de vingt-huit ans.

La rencontre avec Goldoni est importante, car celui-ci l’a racontée dans deux de ses écrits28, témoignages précieux sur la personnalité et le comportement du musicien vieillissant, et, on l’a vu, sur la personne d’Anna Giró.

Goldoni, revenu depuis peu à Venise, venait de connaître le succès, pour lui inattendu, de sa première pièce, Belisario, et avait été chargé par les Grimani d’adapter le livret d’Apostolo Zeno pour La Griselda qui devait être mise en musique par Vivaldi. Ce faisant, il prenait la place de Domenico Lalli, l’ancien ami rancunier qui avait barré la route de Vivaldi à l’entrée des théâtres Grimani. L’accueil du compositeur envers le jeune écrivain qui lui avait été envoyé fut tout d’abord peu amène et empreint à la fois de condescendance et d’une certaine impatience. La scène décrite par Goldoni donne l’impression chez le compositeur d’une agitation fébrile, et de la rapidité avec laquelle la suspicion et la méfiance pouvaient chez lui se transformer en enthousiasme. D’abord rabroué par Vivaldi pour avoir légèrement critiqué Anna Giró, il se rattrapa en écrivant sur-le-champ huit vers conformes au type de chant expressif que le musicien voulait introduire dans le livret et faire chanter par sa jeune élève. Il n’en fallut pas plus pour changer l’opinion de Vivaldi à son égard ; celui-ci, délaissant son bréviaire qu’il n’avait pas lâché depuis le début de l’entrevue, tenant d’une main le bréviaire et de l’autre le texte de Goldoni écrit par celui-ci, appela la Giró :

« — Ah, lui dit-il, voilà un homme rare, voilà un poète excellent ; lisez cet air ; c’est Monsieur qui l’a fait ici, sans bouger, en moins d’un quart d’heure. »
puis s’adressant à Goldoni :

« — Ah, Monsieur, je vous demande pardon. »
et il l’embrassa, protestant qu’il n’aurait jamais d’autre poète que lui.

Après Griselda, Goldoni écrivit encore pour Vivaldi le livret d’Aristide également représenté au San Samuele à l’automne 1735, mais leur collaboration ne se prolongea pas au-delà.

En 1736 fut créé un seul opéra, Ginevra, principesse di Scozia au teatro della Pergola de Florence. Entretemps, Vivaldi reprit ses fonctions à la Pietà, en tant que maestro dei concerti, aux appointements de cent ducats annuels assortis du souhait qu’il ne partît plus de Venise, « comme les années passées » ce qui indique assez ses absences répétées, et confirme la haute considération qu’on avait pour ses qualités professionnelles. 1736 fut également l’année où Vivaldi perdit celui qui aura orienté, guidé et accompagné toute sa carrière : son père mourut le 14 mai, âgé de plus de quatre-vingts ans.

Vivaldi monta Catone in Utica à Vérone au printemps de 1737, le livret de Métastase ayant été jugé politiquement subversif par la sourcilleuse censure vénitienne ; il s’apprêtait à organiser une saison d’opéras à Ferrare. Son protecteur local était le marquis Guido Bentivoglio, auquel le compositeur écrivit plusieurs lettres qui ont été heureusement conservées. Ces lettres sont un précieux témoignage sur les conditions difficiles dans lesquelles le musicien se débattait de façon continuelle, les patrons du théâtre de Ferrare ne parvenant pas — entre autres — à se mettre d’accord avec lui sur le programme. Cependant l’affaire commençait à bien se préciser lorsqu’une difficulté inattendue et insurmontable se présenta. Quelques jours avant de partir en novembre pour Ferrare, Vivaldi fut convoqué par le nonce apostolique qui lui signifia l’interdiction de s’y rendre prise à son égard par Mgr Tommaso Ruffo, cardinal-archevêque de la ville. Cette décision catastrophique, compte tenu de l’avancement du projet et des engagements financiers déjà consentis, était motivée par le fait qu’il ne disait pas la messe et avait l’amitié de la Giró. Dans la lettre, Vivaldi exposait la raison pour laquelle il ne disait plus la messe, et protestait de la parfaite honnêteté de ses relations avec les dames qui l’accompagnaient depuis des années dans ses déplacements, lesquelles faisaient « leurs dévotions tous les huit jours comme on pouvait s’en assurer par des actes jurés et authentiques »… Il semble bien que rien n’y fit et qu’il dut renoncer à son projet. Le 30 décembre suivant, il créait au Sant’Angelo L’oracolo in Messenia.

Malgré les déboires de 1737, Vivaldi eut une double satisfaction l’année suivante : ce fut l’un de ses concertos (RV 562a) qui servit d’ouverture au grand spectacle organisé le 7 janvier 1738 à l’occasion du centenaire du théâtre Schouwburg d’Amsterdam ; selon M.T. Bouquet Boyer, Vivaldi serait allé à Amsterdam et aurait dirigé l’exécution, mais le fait est conjectural ; puis il dirigea lui-même l’interprétation de sa cantate Il Mopso (dont la musique est perdue) devant Ferdinand de Bavière, frère du prince-électeur Charles-Albert. Il produisit le pasticcio Rosmira fedele33 au théâtre Sant’Angelo.

Parti de Dijon au mois de juin 1739, le Président de Brosses était à Venise le mois d’août suivant ; il écrivit le 29 août à son ami M. de Blancey, une lettre qui reste l’un des témoignages directs sur le Prêtre roux :

« Vivaldi s’est fait de mes amis intimes pour me vendre des concertos bien cher. Il y a en partie réussi, et moi, à ce que je désirais, qui était de l’entendre et d’avoir souvent de bonnes récréations musicales : c’est un vecchio, qui a une furie de composition prodigieuse. Je l’ai ouï se faire fort de composer un concerto, avec toutes ses parties, plus promptement qu’un copiste ne le pourrait copier. J’ai trouvé à mon grand étonnement, qu’il n’est pas aussi estimé qu’il le mérite en ce pays-ci, où tout est de mode, où l’on entend ses ouvrages depuis trop longtemps, et où la musique de l’année précédente n’est plus de recette. Le fameux Saxon est aujourd’hui l’homme fêté. »

Depuis des années déjà, l’opéra napolitain tendait à supplanter à Venise la tradition opératique locale personnifiée par Vivaldi. Ce dernier, malgré certaines concessions au goût nouveau dans ses œuvres récentes, symbolisait le passé pour un public toujours avide de nouveautés. Son temps était passé, certainement en avait-il conscience et cette constatation allait peser dans sa décision de s’éloigner de Venise, qu’Anna Giró avait elle-même quitté quelque temps plus tôt pour se joindre à une troupe théâtrale en séjour dans l’empire des Habsbourg. Pour l’heure, il composait son dernier opéra, Feraspe, présenté au Sant’Angelo en novembre. L’année 1740 fut la dernière pendant laquelle Vivaldi fut présent à Venise. Au mois de mars, un grand concert fut donné à la Pietà, au cours d’une fête somptueuse, en l’honneur du prince-électeur de Saxe Frédéric-Christian, comprenant une sérénade du maestro di coro Gennaro d’Alessandro et plusieurs compositions de Vivaldi dont l’admirable concerto pour luth et viole d’amour.

Ce devait être le dernier concert de prestige auquel il participa. Quelques semaines plus tard, au mois de mai, après avoir vendu à la Pietà un lot de concertos, Vivaldi quittait Venise où il ne devait plus revenir. S’il n’en avait pas conscience, tout au moins prévoyait-il une assez longue absence, car il prit soin de régler certaines affaires.

On ne sait pas quelle était la destination prévue au départ de Venise, et plusieurs hypothèses ont été proposées : Graz, où il aurait pu retrouver Anna Giró ; Dresde, où il jouissait d’une grande réputation, où travaillait son ami Pisendel et où il aurait pu trouver la protection du prince-électeur rencontré récemment à Venise ; Prague, où avaient été représentés plusieurs de ses opéras ; Vienne évidemment, où l’attendait peut-être l’Empereur Charles VI. Quelle que dût être sa destination finale, il semble que Vivaldi avait l’intention de participer à une saison d’opéras au Theater am Kärntnertor de Vienne et c’est près de cet établissement qu’il logeait.

Mais le 20 octobre, l’empereur mourait : son deuil interdisait toute représentation et Vivaldi n’avait plus de protecteur ni de ressources assurées. Le mystère plane sur les conditions précaires dans lesquelles il vécut ses derniers mois. Le dernier de ses écrits qu’on ait retrouvé est un reçu de douze florins, en date du 28 juin 1741, pour la vente de concertos à un certain comte Vinciguerra di Collalto. Vivaldi décéda d’une « inflammation interne », pauvre et dans la solitude, le 27 ou le 28 juillet dans la « maison Sattler » appartenant à une certaine veuve Wahler. Cette maison, non loin du Theater am Kärntnertor et du Burgerspital, fut détruite en 1858. Le 28 juillet, le service funèbre fut célébré à l’église Saint-Étienne suivant le cérémonial réservé aux indigents. On a longtemps imaginé que parmi les enfants de chœur présents à l’office figurait un jeune garçon du nom de Joseph Haydn. Le cimetière du Burgerspital où fut reçue sa dépouille a aujourd’hui, lui aussi, disparu. Une simple plaque rappelle son souvenir.

La mort du musicien fut connue à Venise au mois de septembre suivant dans l’indifférence générale. « Il avait gagné en un temps plus de 50 000 ducats, mais sa prodigalité désordonnée l’a fait mourir pauvre à Vienne » : telle est l’épitaphe anonyme retrouvée dans des archives vénitiennes, les Commemoriali Gradenigo.

Voir aussi cette vidéo : (en anglais)

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Sources : Wikipédia, YouTube.

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