Alphonse Juin, Maréchal de France.

Alphonse Juin, né le 16 décembre 1888 à Bône (département de Constantine) et mort le 27 janvier 1967 à Paris (5e arrondissement), est un général d’armée élevé à la dignité de maréchal de France.

Il fut l’un des grands chefs de l’armée de libération en 1943-1944 et il s’illustra surtout à la tête du Corps expéditionnaire français en Italie qui, le 13 mai 1944, remporta la victoire du Garigliano, ouvrant les portes de Rome aux Alliés qui piétinaient devant le monte Cassino.

Il est le seul général de la Seconde Guerre mondiale à avoir été élevé à la dignité de maréchal de France de son vivant, en 1952.

Alphonse Pierre Juin est né le 16 décembre 1888 à Sainte-Anne dans la commune de Bône (département de Constantine), chez son grand-père maternel Pascal Salini. Issu d’une famille française modeste pied-noir d’Algérie (fils et petit-fils de gendarme), fils de Victor Pierre Juin -vendéen- et de Précieuse Salini — originaire de Cuttoli Corticchiato et Ucciani, en Corse —, il poursuit ses études au grand lycée d’Alger. Il sort major de la promotion de Fès de Saint-Cyr en 1912, promotion dont faisait partie Charles de Gaulle. Juin sera d’ailleurs le seul à tutoyer le général de Gaulle, lorsqu’il sera devenu président de la République.

Sous-lieutenant, Alphonse Juin est affecté au protectorat français du Maroc où, jusqu’en 1914, il participe aux opérations de pacification.

Lors de la Première Guerre mondiale, le lieutenant Juin participe, avec les troupes marocaines, au sein de la brigade marocaine du général Ditte, aux combats de la Marne, en septembre 1914. Grièvement blessé en Champagne, en mars 1915, il perd définitivement l’usage de son bras droit. Il reste huit mois à l’hôpital, avant de retrouver le front. Nommé capitaine le 4 avril 1916, il combat ensuite au sein du 1er régiment de tirailleurs marocains8. En 1921, il obtient de si bons résultats à l’École de guerre qu’il est maintenu comme professeur stagiaire. Il sert ensuite de nouveau en Afrique du Nord sous les ordres du maréchal Lyautey.

Alphonse Juin, carte maximum, Paris, 28/02/1970.

En février 1918, il suit les cours d’état-major à Melun avant d’être détaché en octobre à la mission militaire française auprès de l’armée américaine et affecté au cours de perfectionnement des officiers de liaison du Corps expéditionnaire américain. Breveté de l’École supérieure de guerre en 1921, il sert en Tunisie avant de rejoindre à la fin de l’année 1923 le Maroc où il participe à la campagne du Rif. À l’automne 1925, il rentre en France avec le maréchal Lyautey et travaille sous ses ordres au Conseil supérieur de la guerre. Promu chef de bataillon en 1926, il part l’année suivante rejoindre le 7e régiment de tirailleurs algériens à Constantine. En 1929, il est chef du cabinet militaire du résident général au Maroc, Lucien Saint, et prend une part active à la réalisation de la dernière phase du plan de pacification de l’Atlas. Lieutenant-colonel en mars 1932, il devient professeur de tactique générale à l’École supérieure de guerre en 1933 avant d’être affecté comme commandant en second au 3e régiment de zouaves à Constantine. Il prend le commandement de ce régiment le 6 mars 1935. En juin, il est promu colonel. En 1937, il est affecté auprès du résident général au Maroc, le général Noguès, et suit parallèlement les cours du Centre des hautes études militaires.

Toute sa vie, Alphonse Juin entretiendra un rapport charnel avec le Maghreb : « j’en suis de ce peuplement, et par toutes mes fibres ».

À la suite des accords de Paris négociés par Darlan avec l’Allemagne, il est libéré le 15 juin 1941 à la demande du gouvernement de Vichy comme d’autres officiers réputés pour leur connaissance de l’Afrique. Précisément, il avait été repéré par Charles Huntziger qui l’avait recommandé à Jacques Benoist-Méchin alors secrétaire d’État aux rapports franco-allemands, qui l’inscrit ainsi dans le premier protocole, en tête des 961 officiers dont la France demandait la libération au titre de complément d’effectifs de son armée d’Afrique.

Pétainiste et antigaulliste, il est envisagé par Vichy comme ministre de la Guerre. Il est finalement intégré à l’Armée de Vichy et nommé le 16 juillet 1941, adjoint au général commandant supérieur des troupes du Maroc le général Noguès, puis le 20 novembre 1941 général de corps d’armée, commandant en chef des forces d’Afrique du Nord où il remplace le général Weygand dans ses fonctions militaires, mais non dans toutes ses fonctions de proconsul.

Le 20 décembre 1941, avec le délégué général du gouvernement de Vichy Fernand de Brinon, il est convoqué à Berlin par Göring. L’historien Robert Paxton parle de cette rencontre comme d’un dialogue de sourds. Göring demande que les Français explicitent « clairement leur intention » de laisser l’Axe utiliser la base de Bizerte en Tunisie et accordent à Rommel, alors en campagne en Libye, « une liberté de mouvement de nature à lui faciliter la poursuite des combats, peut-être avec les Français à ses côtés ». Juin insiste pour que les Allemands autorisent les troupes françaises à renforcer leur armement en Afrique pour mieux défendre l’Empire français, particulièrement au sud de la Tunisie. Juin promet que les forces de Rommel ne seront pas retenues le long de la frontière tunisienne. En fin de compte, Göring, loin d’être satisfait indique que les demandes françaises d’augmenter l’armement de l’armée d’Afrique resteront conditionnées à la satisfaction des demandes allemandes en Tunisie.

Juin a signifié à son ministre de la Guerre Bridoux qu’il « ne souhaite pas entrer dans la voie vers laquelle tendent les Allemands des commissions d’Afrique du Nord et qui pourraient mener la France à la collaboration militaire ». En Algérie personne ne doute que, dans son for intérieur, Juin n’admet pas l’occupation de la Métropole par les Allemands et qu’il voudrait éviter un tel destin à l’Empire. Le consul américain à Casablanca est informé des probables sentiments de Juin. On lui dit que Juin « ne tiendrait probablement pas sa parole » si les Allemands envahissaient l’Afrique du Nord.

Ainsi, lorsque le 8 novembre 1942, l’ensemble des officiers de l’armée d’Afrique sont surpris par le débarquement allié en Afrique du Nord, Alphonse Juin est tiraillé entre ses sentiments anti-allemands et son sens de la discipline vis-à-vis des autorités de Vichy. N’a-t-il pas également déclaré à Bridoux en juillet 1942 que ses troupes « feraient loyalement leur devoir contre tout agresseur, quel qu’il soit » ? Par l’intermédiaire de son subordonné le commandant Dorange, Juin, qui ne se doute pas qu’un débarquement américain est imminent, est entré en contact avec le consul américain d’Alger Robert Murphy pour demander comment, en cas d’agression allemande, les États-Unis réagiraient à une demande d’aide massive de la part de la France. À cette occasion, il avertit également Murphy qu’il donnerait l’ordre à ses troupes de résister si les États-Unis attaquaient en premier, sans provocation allemande.

Alphonse Juin, essais de couleurs, datés du 10/02/1970.

Les premières nouvelles du débarquement allié en Afrique du Nord atteignent Juin dans les premières heures du 8 novembre, peu après minuit, lorsque les hommes du général Mast, un de ses subordonnés impliqué dans les préparatifs de l’opération avec les Américains, prennent le contrôle des points forts de la ville. Sa résidence est encerclée par un groupe de jeunes lycéens commandés par l’aspirant de réserve Pauphilet, agissant avec un groupe de 400 résistants mal armés.

Juin, destinataire d’une lettre de Roosevelt lui demandant d’accueillir les troupes alliées en amies, rejette cette demande présentée par le consul Murphy, et se retranche derrière l’autorité de l’amiral Darlan, ancien vice-président du Conseil resté commandant en chef des forces militaires et qui est alors présent à Alger. Libéré au matin par la garde mobile, il organise la reconquête de la ville contre les résistants, mais, convaincu que la partie est jouée, ne fait rien pour rejeter les Alliés19. À 17 h 30, il signe avec l’accord de l’amiral Darlan, une suspension d’armes limitée à la place d’Alger, où l’on dénombre 13 morts français.

Mais ce premier cessez-le-feu concernait seulement Alger : Darlan et Juin, désormais entre les mains des Alliés, allaient refuser pendant trois jours de donner l’ordre de cessez-le-feu à leurs subordonnés d’Oran et du Maroc, où le combat sanglant entre Français et Alliés allait se poursuivre inutilement. Ce fut seulement à la suite des pressions particulièrement vigoureuses du général Clark que Juin et Darlan finirent, trois jours plus tard et sous la menace, par ordonner le cessez-le-feu à leurs subordonnés d’Oran et du Maroc.

Ainsi, ce même 8 novembre 1942, à Oran et au Maroc, les généraux Boisseau et Noguès, subordonnés de Juin, qui n’ont pas été « neutralisés » comme à Alger, accueillent les Alliés à coups de canon. Juin ordonne aux forces françaises de maintenir « un contact élastique, sans agressivité ». Dans l’après-midi du 8 novembre, à 17 h 35, Darlan décharge Juin de son autorité en dehors de la région d’Alger et charge Noguès de la défense du Maroc et le général Barré de la défense de la Tunisie. Juin rend compte qu’il « s’efforcera d’exécuter les ordres du maréchal, mais qu’étant entre les mains des Américains, il ne peut que laisser l’entière initiative aux commandants des théâtres est et ouest ». Le 11 novembre, après avoir appris, vers midi, l’invasion de la zone libre par les Allemands, il fait savoir à ses subordonnés que « dès réception du présent message, la position de neutralité vis-à-vis de l’Axe cesse ».

Juin donne enfin, le 14 novembre, l’ordre à l’armée de Tunisie repliée sur la frontière algérienne, de faire face aux Allemands, mais son chef, le général Barré, attendra jusqu’au 18 novembre pour reprendre le combat. L’armée de Tunisie renforcée par des éléments alliés allait alors se battre, mais le coût humain pour reconquérir le protectorat allait être très élevé.

Juin, sous l’autorité de Darlan, qui s’est autoproclamé haut commissaire de France en Afrique, puis du général Giraud, reçoit le commandement des forces françaises engagées en Tunisie. Celles-ci contribuent, au prix de lourdes pertes, à l’anéantissement des forces d’occupation de l’Axe et de l’Afrika Korps de Rommel.

Dans le cadre des mesures d’épuration dans l’armée, une Commission spéciale d’enquête de Tunisie est créée le 15 août 1943 pour établir les conditions dans lesquelles les forces armées de l’Axe ont pu pénétrer en Tunisie en novembre 1942, et déterminer les responsabilités encourues par les autorités civiles et militaires au cours de ces événements. « Les responsabilités de Juin, écrit l’historienne Christine Levisse-Touzé, sont établies, mais vite étouffées, et il n’y sera pas donné suite22. » Il est nommé général d’armée le 25 décembre 1942.

En 1943, Juin est nommé par de Gaulle à la tête du corps expéditionnaire français en Italie, qui comprend quatre divisions (en tout 112 000 hommes). Préalablement, au mois d’octobre, avec le général Patton, alors privé de commandement, Juin a été chargé d’une curieuse mission spéciale en Corse, peu après la libération de l’île, à la demande du général Eisenhower, chef des opérations en Méditerranée. Il s’agissait d’une reconnaissance destinée à leurrer les Allemands sur un possible débarquement allié depuis l’île dans le golfe de Gênes ou en Toscane. Ce voyage prit des allures de voyage touristique. Au retour à Alger, Juin rejoint l’Oranie et son corps, avant de s’embarquer pour Naples.

Au printemps 1944, il fait adopter par les Alliés un plan de manœuvre audacieux. En effet, il brise la ligne Gustav en enveloppant le mont Cassin avec notamment les tabors marocains du général Guillaume et le 4e régiment de tirailleurs tunisiens. La bataille de Monte-Cassino révèle le génie militaire du général Juin qui en lançant un assaut d’infanterie légère pour déborder la position allemande sur ses flancs remporte un succès total, au contraire du général américain Clark qui, en tentant un assaut frontal d’infanterie lourde précédé d’un catastrophique bombardement du monastère, envoya à la mort sans aucune utilité près de 1 700 soldats.

Les crimes de 1944 en Italie, spécifiquement en Ciociarie, en Latium et en Toscane, sont des viols en masse et homicides commis sur les populations civiles par des éléments de l’Armée d’Afrique qui servaient sous les ordres du général Juin lors de la bataille de Monte Cassino, en Italie. Ils sont surnommés en Italie les « marocchinate » (littéralement « maroquinades », en référence à l’origine marocaine de nombreux soldats du corps expéditionnaire français en Italie).

Après cette bataille, Juin repousse les Allemands de la tête de pont sur le fleuve Garigliano24 et descend dans la plaine avec ses troupes. Il prend une part active dans l’offensive sur Rome, bien que lui-même eût préféré une ultime bataille à l’est pour anéantir les Allemands. Il libère dans les premiers jours de juin, les faubourgs orientaux de la Cité éternelle et entre dans la capitale aux côtés de Clark. Puis, Juin prend Sienne. En juillet, appelé à Alger comme chef d’état-major de la Défense nationale, il transmet le commandement de ses troupes au général de Lattre, qui les conduira durant le débarquement de Provence. En tant que chef d’état-major (il le restera jusqu’en 1947), il est en communication avec de Gaulle et avec le Quartier général des forces alliées en Europe (Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force ou SHAEF) bien que le général Koenig soit le principal représentant français au SHAEF. Le 25 août 1944, il entre aux côtés du général de Gaulle dans Paris libéré.

À l’été 1945, le général Juin a l’intention de venir témoigner au procès du maréchal Pétain, sous réserve de l’autorisation du général de Gaulle. Il se voit dans l’impossibilité de le faire, ce dernier l’ayant envoyé intentionnellement en mission en Allemagne. Il adresse un témoignage écrit en faveur du maréchal à maître Isorni alors que les avocats avaient souhaité sa déposition orale.

Au printemps 1947, il choisit de quitter son poste de chef d’état-major de la Défense nationale pour prendre les fonctions de Résident général au Maroc, qu’il conserve jusqu’en 1951. Sa décision est probablement motivée par le départ de de Gaulle du gouvernement en 1946 auquel il était lié personnellement. Il renoue ainsi avec la tradition des généraux résidents. Sur place, il s’oppose au sultan Mohammed ben Youssef et au parti nationaliste, en s’appuyant sur Thami El Glaoui, pacha de Marrakech. Son bras droit26 est alors Marcel Vallat (1898-1986).

Durant ces années, il est sollicité par les gouvernements successifs qui aimeraient le voir revenir en Europe notamment pour exercer le commandement des forces terrestres de la nouvelle Union occidentale, propositions qu’il refuse.

De 1951 à 1956, il est commandant en chef du secteur Centre-Europe de l’Organisation atlantique Nord (OTAN, dont le commandant suprême est le général Eisenhower). En mars 1952, alors qu’il s’est toujours tenu à l’écart de la politique, il critique ouvertement le fonctionnement du régime, notamment pour ce qui concerne la question du réarmement. Peu de temps après, il commet un autre éclat en réclamant le transfert des cendres de Pétain à Douaumont. Ses déclarations provoquent des frictions avec les gouvernements en place, mais Juin se garde de tout aventurisme politique.

Le 14 juillet 1952, il reçoit le bâton de maréchal de France27,28 sous l’impulsion de son ami le général Chambe, et par l’entremise du gendre de celui-ci, Guy Jarrosson, député du Rhône. Le 20 novembre 1952, il est élu à l’Académie française où il est reçu en juin 1953. Il succède à Jean Tharaud, et fait unique dans les annales de l’institution, il critique son aîné François Mauriac pour ses prises de position au sujet du Maroc.

De 1954-1955, il cautionne la politique libérale de Mendès France en Tunisie. En 1955, il s’oppose à l’indépendance du Maroc.

De 1954 à sa mort, il est président du Comité de patronage de la Revue Défense nationale.

De 1955 à sa mort, il est président d’honneur de la Société nationale des anciens et des amis de la gendarmerie (SNAAG).

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Sources : Wikipédia, YouTube.