Ahmadou Babatoura Ahidjo, premier Président du Cameroun

Ahmadou Babatoura Ahidjo (né le 24 août 1924 à Nassarao, près de Garoua, Cameroun français – mort le 30 novembre 1989 à Dakar, Sénégal) est le premier président de la République du Cameroun.


Fils d’un chef peul (foulbé) de religion musulmane, Ahidjo intègre l’administration française comme télégraphiste puis opérateur radio. Il mène des études primaires a Garoua et à l’Ecole supérieure d’administration de Yaoundé (dont le but est de former en trois ans les agents pour les différents postes dans l’administration). Ses condisciples sont entre autres,Félix Sabbal-Lecco, Ministre sous son gouvernement , Abel Moumé Etia, premier ingénieur camerounais de la météorologie et Jean-Faustin Betayéné, ministre des Affaires étrangères du Cameroun fédéral. Entre 1942 et 1946, Il est fonctionnaire des PTT, avant son entrée en politique.

Repéré par l’administrateur colonial Guy Georgy, celui-ci organise son entrée en politique : « Je l’avais fait élire à l’Assemblée territoriale. On avait quasiment fait voter pour lui, en mettant des paquets de bulletins dans les urnes », expliquera-t-il dans les années 1980. Élu à l’assemblée territoriale du Cameroun en 1947, il devient conseiller de l’Assemblée de l’Union française de 1953 à 1958 et président de celle-ci en 1957. Il est alors couvé par Louis-Paul Aujoulat, le secrétaire d’État à la France d’outre-mer.

Il se montre rassurant envers l’Église et les aristocraties musulmanes du nord du pays et parvient à incarner l’union des courants conservateurs inquiets face aux mouvements contestataires qui se multiplient dans les années 1950. D’abord membre du BDS, le parti d’Aujoulat jusqu’à sa chute, il constitue ensuite l’Union camerounaise avec le soutien des chefs nordistes.

Vice-Premier ministre chargé de l’intérieur après l’octroi de l’autonomie interne au Cameroun, puis ministre de l’Intérieur (mai 1957). Grâce à un passage en force sagement orchestré par Jean Ramadier, haut-commissaire français de l’État du Cameroun, il fait tomber le gouvernement André-Marie Mbida en démissionnant avec la totalité des ministres du Nord qui lui sont fidèles. Il remplace ainsi André-Marie Mbida à la tête du gouvernement en février 19583. Il est pourtant, à ce moment, encore un quasi-inconnu pour les Camerounais2. Le consul général de Grande-Bretagne le décrit dans une note interne comme « doté d’une personnalité prononcée et d’opinions très ancrées, teintées de cynisme. » N’ayant que « peu d’estime envers les femmes », il se montrerait « très susceptible à propos de ses origines modestes ». qu’il cherche à surmonter en épousant l’une des filles du puissant lamido de Garoua. Il a face à lui, outre l’UPC clandestine, les nationalistes modérés réunis autour de Paul Soppo Priso et les conservateurs modérés fidèles à Mbida.

Grâce à son parti l’Union camerounaise (UC), à une Constitution taillée sur mesure, à un tripatouillage électoral et l’aide active de l’armée française qui réduit les rébellions menées par l’Union des populations du Cameroun en régions bamiléké et bassa, il est élu en mai 1960 président de la République. C’est ainsi qu’il fut placé aux leviers de commande par la France soucieuse de faire échec par tous les moyens à l’UPC, considérée comme dangereuse pour l’ordre établi4. Pierre Messmer, ancien Haut commissaire français au Cameroun, indique à ce sujet : « La France accordera l’indépendance à ceux qui la réclamaient le moins, après avoir éliminé politiquement et militairement ceux qui la réclamaient avec le plus d’intransigeance. »

Pendant les premières années du régime, l’ambassadeur français Jean-Pierre Bénard est parfois considéré comme le véritable “président” du Cameroun. Cette indépendance est en effet largement théorique puisque des « conseillers » français sont chargés d’assister chaque ministre et disposent de la réalité du pouvoir. Le gouvernement gaulliste préserve son ascendant sur le pays à travers la signature « d’accords de coopération » touchant à tous les secteurs de la souveraineté du Cameroun. Ainsi, dans le domaine monétaire, le Cameroun conserve le franc CFA et confie sa politique monétaire à son ancienne puissance tutrice. Toutes les ressources stratégiques sont exploitées par la France, des troupes françaises sont maintenues dans le pays, et une grande partie des officiers de l’armée camerounaise sont Français, y compris le chef d’état-major.

Le représentant guinéen à l’ONU estime au sujet des manœuvres françaises au Cameroun que « il y a à présent sur ce continent un danger encore plus menaçant que le colonialisme lui-même. C’est le danger que l’on pourrait appeler l’indépendance octroyée, qui tend à refléter dans le pays les désirs et les tendances de la puissance coloniale elle-même. »

Il proclame une amnistie très sélective de militants de l’UPC incarcérés (ceux ayant supposément renoncé à poursuivre leur engagement politique), refuse les négociations visant à mettre fin aux combats que lui propose le dirigeant de l’UPC Félix-Roland Moumié et réussit à ramener une confiance couronnée par la réunification avec une partie du Cameroun britannique (qui refuse l’intégration au Nigeria après référendum). Le pays devient un État fédéral en octobre 1961.

Dès le début des années 1960, le chef de l’État multiplie les dispositions légales lui permettant de s’affranchir de l’État de droit : prolongation arbitraire des gardes à vue, interdiction des réunions et rassemblements, soumission des publications à la censure préalable, restriction de la liberté de circulation à travers l’établissement de laissez-passer ou du couvre-feu, interdiction pour les syndicats de lancer des souscriptions, etc. Toute personne accusée de « compromettre la sécurité publique » se voit privée d’avocat et ne peut faire appel du jugement prononcé. Les condamnations aux travaux forcés à perpétuité ou à la peine capitale — les exécutions peuvent être publiques — se font ainsi nombreuses.

Ahidjo pense mener un développement économique et une assimilation culturelle qui favoriserait l’unification progressive du pays. En avril 1964, Marguerite Mbida, épouse d’André-Marie Mbida, condamné à trois ans de prison ferme, se présenta comme tête de liste du PDC aux élections législatives d’avril 1964. Le PDC fut le seul parti politique à avoir osé se présenter à ces élections législatives. Les chefs d’opinion camerounais de cette époque sont tous soit en exil soit en prison. Les résultats de ces élections selon des sources dignes de foi donnent une victoire massive au PDC dans ce qui s’appelle alors le Nyong-et-Sanaga. Cette victoire électorale leur fut confisquée au nom de l’unité nationale et du parti unique en gestation. Les électeurs refusèrent que leur soit volée cette victoire électorale. Le gouvernement camerounais de 1964 fit descendre la gendarmerie dans les villages et les protestataires furent massivement déportés vers les camps de concentration tristement célèbres de Mantoum, Tcholliré et Mokolo. Il est réélu en 1965 à l’issue d’une élection dont il est l’unique candidat.

Des camps de détention sont mis en place à partir de 1962 pour permettre l’incarcération de personnes sans avoir à les présenter devant des tribunaux (la pratique n’est toutefois pas nouvelle et avait cours sous le Haut commissaire Pierre Messmer). Jusqu’aux années 1970, des milliers de Camerounais jugés subversifs disparaîtront ainsi, temporairement ou définitivement. Dans ces camps, les détenus sont sujets à des vexations systématiques, des conditions sanitaires dramatiques et à un quasi-esclavage.

Malgré l’opposition du Parti des démocrates camerounais et de l’aile dissidente de l’UPC, il fonde en 1966 un parti unique, l’Union nationale camerounaise (UNC), assigne André-Marie Mbida en résidence surveillée. Au début des années 1970, il parvient à réduire substantiellement l’activité insurrectionnelle de l’UPC grâce à des succès militaires dont le plus grand est la capture, le jugement et l’exécution capitale en 1971 d’Ernest Ouandié (voir l’affaire Ndongmo), dernier chef historique de l’UPC. Il est réélu en 1970. En mai 1972, un référendum approuve une constitution qui fait du Cameroun un État unitaire. Si le président défend à l’extérieur les instances de l’OUA, il se retire cependant, en 1973, de l’Organisation commune africaine et malgache (OCAM).

En 1972, il fait insérer dans le Code pénal un article qui punit de prison les actes homosexuels.

Le Cameroun devient un pays producteur de pétrole en 1977. Prétendant vouloir faire des réserves pour les temps difficiles, les autorités gèrent les recettes pétrolières “hors budget” dans la plus totale opacité (les fonds sont placés sur des comptes parisiens, suisses et new-yorkais). Plusieurs milliards de dollars sont ainsi détournés au bénéfice de compagnies pétrolières et de responsables du régime2. L’influence de la France et de ses 9 000 ressortissants au Cameroun reste considérable. La revue African Affairs note au début des années 1980 qu’ils « continuent à dominer presque tous les secteurs clés de l’économie, à peu près comme ils le faisaient avant l’indépendance. Les ressortissants français contrôlent 55 % du secteur moderne de l’économie camerounaise et leur contrôle sur le système bancaire est total. »

Le 4 novembre 1982, Ahidjo, âgé de 58 ans, annonce contre toute attente sa démission pour raison de santé. Suivant les dispositions constitutionnelles, le Premier ministre Paul Biya, âgé de 49 ans, lui succède. Ahidjo conserve la présidence du parti unique et le régime connaît une étrange cohabitation qui s’achève au bout de 5 mois, en avril 1983, avec la démission de l’ancien président de ses fonctions et son départ en exil en France. Les tensions se poursuivent toutefois et connaissent leur apogée avec la sanglante tentative de coup d’État de partisans d’Ahidjo. Elle se soldera par deux procès retentissants et deux condamnations à mort par contumace pour Ahidjo, reconnu coupable d’atteinte à la sûreté de l’État.

Séjournant alors entre la France, l’Espagne et le Sénégal pendant ces événements, il ne rentra jamais au Cameroun et s’installa au Sénégal où il meurt, d’une crise cardiaque, le 30 novembre 1989. Il est inhumé au cimetière Bakhiya de Yoff, le plus grand cimetière musulman de Dakar.

La loi no 91/022 du 16 décembre 1991 portant réhabilitation de certaines figures de l’Histoire du Cameroun (dont Ahmadou Ahidjo), prévoit notamment que « le transfert des restes mortuaires au Cameroun des personnes [réhabilitées], inhumées à l’extérieur du territoire national, peut s’effectuer à la demande de la famille ou de cujus, sous réserve de la dernière volonté du défunt et conformément à la législation du pays d’inhumation » (art. 3 al. 1). Le président Paul Biya n’a toutefois à ce jour rien mis en oeuvre dans ce sens.

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Sources : Wikipédia, YouTube.

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