Abbaye de Royaumont (Val d’Oise).

L’abbaye de Royaumont est un ancien monastère cistercien situé dans le hameau de Baillon à Asnières-sur-Oise dans le Val-d’Oise, à environ trente kilomètres au nord de Paris.

Elle est construite entre 1228 et 1235 sous l’égide de Saint Louis, et est alors une des plus importantes abbayes de France. Elle demeure abbaye cistercienne jusqu’à la Révolution française, elle est vendue comme bien national et devient un site industriel textile. Elle retrouve sa vocation religieuse en 1864, jusqu’aux lois Combes en 1905. L’abbaye est alors rachetée par Jules Goüin, et son petit-fils Henry, industriel et mélomane, en ouvre les portes aux artistes, y organise des concerts et en fait un lieu de création musicale et culturelle. Il la donne à la Fondation Royaumont qu’il a créée en 1964, première fondation privée à but culturel, qui assure depuis lors la gestion des lieux.

L’édifice est classée aux monuments historiques depuis 1927 pour ses vestiges, et 1948 pour les bâtiments de l’abbaye et le parc.


Louis VIII avait prononcé comme l’un de ses derniers vœux la fondation d’un monastère dédié à la Vierge et affilié à Saint-Victor de Paris. Ses joyaux et couronnes devaient être vendus pour assurer le financement. L’on ignore toutefois pour quel motif le choix de son fils, le roi saint Louis, se porta sur l’ordre de Cîteaux ; une explication possible est que l’assistance du jeune roi et de sa mère Blanche de Castille à la consécration de l’abbatiale de Longpont le 24 octobre 1227 a pu être décisive. Pareillement Blanche de Castille fondera-t-elle elle-même deux abbayes cisterciennes, Maubuisson (1241) et le Lys (1244). Toujours est-il que la charte de fondation de Royaumont fut promulguée dès 1228, tout comme l’affiliation à Cîteaux et la consécration à la Vierge. Louis IX acheta les terrains au lieu-dit Cuimont, connu aussi comme Coctus mons, auprès du monastère Saint-Martin à Paris. Le choix du lieu fut sans doute influencé par la proximité avec le château royal d’Asnières-sur-Oise (aujourd’hui sur la même commune). Royaumont allait devenir la cent quatre-vingt-dix-neuvième abbaye cistercienne et la vingt-et-unième filiale directe de Cîteaux. Avec l’abbé de cette abbaye, Louis IX négocia l’envoi d’un nombre suffisant de moines (dès le début, il y aura cent-quatorze moines et une quarantaine de frères convers4). Le lieu Cuimont fut rebaptisé en Mons Regalis dans la charte de fondation rédigée en latina 1, traduit par mont Royal ou Royaumont.

Les recherches n’ont toujours pas su identifier l’architecte de Royaumont, cas fréquent des grandes réalisations du XIIIe siècle. La construction de l’abbaye fut achevée le 19 octobre 1235, seulement sept ans après la charte de fondation. Le chantier fut exécuté avec une rapidité étonnante et engagea une somme colossale, cent mille livres parisis selon Guillaume de Saint-Pathus, biographe de saint Louis au début du XIVe siècle. Cette somme correspondait peu ou prou aux deux tiers des revenus annuels de la Monarchie. Pendant toute la période de construction, le roi surveillait l’avancement des travaux de près ; l’on sait qu’il vint dix-neuf fois à Royaumont, soit deux à trois fois par an. Lors de sa présence, il participa activement à la vie du chantier en prêtant la main aux artisans, porta pierre et mortier.

Son statut d’abbaye royale comme son pendant, l’abbaye de Maubuisson, lui confère un statut exceptionnel : elle n’est pas sous la dépendance d’une des « filles » de Cîteaux que sont les abbayes de La Ferté, Pontigny, Clairvaux et Morimond, mais relève directement de l’abbaye mère de Cîteaux. L’abbaye est un lieu ouvert et soumis à la volonté royale, elle accueille le dominicain Vincent de Beauvais, précepteur des enfants royaux. Il est probable que la bibliothèque de Royaumont ait d’ailleurs joué un rôle dans l’élaboration de l’encyclopédie Speculum Majus. Tout au long de son règne, saint Louis favorise Royaumont de dons en argent, en terres, mais également en droits et avantages de toutes natures. En 1235, le roi accorde une rente annuelle de cinq cents livres pour l’entretien d’au moins soixante moines.

Saint Louis séjourna souvent à Royaumont, partageant alors la vie des moines tout au long de la journée. Pendant les offices, il prenait place à côté de l’abbé, mais sinon ne cherchait point à occuper une situation privilégiée. Le roi servait les moines à table, demandait à leur laver les pieds dans le cloître selon une habitude des bénédictins et soignait les moines malades, dont un moine lépreux, le frère Léger. L’abbaye avait un hôpital (appelé grande infirmerie) pour accueillir les malades et infirmes de tous les environs, fondé sous l’impulsion de saint Louis et qui existait encore au xviiie siècle. Dès juillet 1258, l’abbaye donna tous les jours l’aumône aux indigents des environs au lieu de trois fois par semaine, fréquence jugée insuffisante par l’abbé de Cîteaux. Louis donna alors à l’abbaye sa baronnie de Roupy près de Saint-Quentina.

La vie monastique, rythmée par les prières, permettait à saint Louis d’étancher sa soif de l’absolu. L’abbé entreprit des embellissements de l’église, sans doute dans le but d’offrir au roi un sanctuaire à sa hauteur : peintures, sculptures, courtines (rideaux autour de l’autel), colonnes surmontées d’anges. Ce fut une infraction à la règle de simplicité de l’ordre, et son chapitre général de septembre 1263 enjoignit à l’abbé de faire disparaître tout ce décor dans un délai d’un mois.

Lors du décès de son frère Philippe-Dagobert en 1233 ou 1234, le roi prit la décision de choisir Royaumont comme sépulture des enfants de la famille royale morts en bas âge. Ainsi, il y fit inhumer les corps de trois de ses quatre enfants morts avant lui, Blanche († 1243), Jean († 1248), Louis de France, qui devait devenir son successeur († 1260). Pour Jean-Tristan, disparu peu avant son père, la décision ne fut pas respectée. D’autres enfants de la famille furent inhumés en l’abbatiale de Royaumont par la suite, jusqu’à la fin du siècle. À la mort du roi, l’abbé étant un des exécuteurs testamentaires, l’abbaye reçoit un tiers de la bibliothèque royale et est l’une des mieux dotées du royaume. Reste à remarquer qu’aucun des sept abbés sous Saint-Louis n’entra dans l’Histoire, l’on ignore pratiquement tout d’eux.

Par contre, un personnage extérieur à l’abbaye qui y logea entre 1255 et 1264, jusqu’à sa mort, laissa bien des traces dans l’histoire, ce fut Vincent de Beauvais. Il est à peu près certain que des moines de Royaumont collaborèrent à son œuvre, à savoir le Grand miroir ou Bibliothèque de l’Univers, grande encyclopédie réunissant toutes les connaissances du xiiie siècle, qu’il serait difficile de considérer comme le travail d’un seul homme. C’est en même temps l’unique travail scientifique connu à ce jour que l’on peut attribuer à Royaumont, les cisterciens se limitant le plus souvent au copiage de manuscrits.

En 1297, intervient la canonisation de Louis IX par le pape Boniface VIII, fruit de la participation active de Royaumont. La même année, suivant une charte du roi Philippe IV, l’abbé de Royaumont devient le seigneur d’Asnières-sur-Oise et de toutes les terres que possède l’abbaye, dispersées sur un vaste territoire, et exerce désormais la haute, moyenne et basse justice. Les différents fiefs érigés à Asnières par la suite dépendaient tous de Royaumont comme fief dominant. En 1316, l’abbaye acquiert par un échange un hôtel à côté de l’église Saint-Eustache à Paris, rue du Jour, pour héberger les religieux que les affaires de l’ordre appellent à Paris ; cette demeure sera plus tard connue comme l’hôtel de Royaumont. Dix ans plus tard, la propriété est agrandie par le rachat de deux petites maisons contiguës.

Abbaye de Royaumont, carte maximum, Asnières-sur-Oise, 26/09/2009.

L’abbaye continue de vivre dans l’aura de Saint-Louis qu’elle revendique comme personnage étant exclusivement le sien. Les postulants arrivent par masses pour être admis à la vie du cloître. Jusqu’à l’extinction de la ligne des Capétiens directs avec le décès de Charles IV le Bel, tous les rois restent fidèles à Royaumont et favorisent l’abbaye par des legs, exemptions et privilèges. Philippe le Hardi, fils et successeur direct de Louis IX, et Philippe le Bel, son fils, confirment l’ensemble des acquisitions territoriales de Royaumont depuis 1228. En 1353, le roi Jean le Bon exempte l’abbaye de la servitude qui l’avait obligée jusque-là d’héberger les équipages de chasse royales, troublant la quiétude et causant parfois des préjudices.

Avec la bataille de Crécy le 26 août 1346, débute la guerre de Cent Ans et les soldats anglais occasionnent déjà des dégâts dans la région, mais Royaumont reste indemne et à l’écart de l’action de guerre pendant les premières années. Toutefois, l’abbaye aura bientôt à souffrir du voisinage d’avec Charles le Mauvais, roi de Navarre, sous la souveraineté féodale duquel la région sera placée pendant quelque temps en 1353 (traité de Mantes). Ce prétendant au trône français ne fut pas étranger à ce que Royaumont fût rançonné par une troupe d’hommes armés, pour moitié anglais et navarrois, et dont la base était à Creil. Sous la menace de piller et raser l’abbaye et d’incendier l’église, les moines cédèrent aux revendications.

Peu de temps après, ce fut dans les environs immédiats de Royaumont, à Saint-Leu-d’Esserent et puis à Boran-sur-Oise qu’éclata la Jacquerie en 1358, émeute populaire se traduisant par des pillages et des destructions, et caractérisée comme l’un des événements les plus considérables du xive siècle. Parallèlement, les agressions de la part des Anglais et les dévastations de la part de leurs alliés les Navarrois continuaient : la population vivait sous la terreur et dut transformer les églises en forteresses. Les désordres avaient une répercussion sur l’agriculture et la famine menaçait. Craignant d’être rançonnée de nouveau, l’abbaye de Royaumont acheta la protection des Anglais ; il serait toutefois inadéquat de parler de dévouement aux Anglais. De ce fait, un acte royal de juin 1359 signé par le régent, le dauphin Charles, accorda grâce et pardon aux religieux de Royaumont. Sous l’influence de l’insécurité permanente et de leurs retombées sur l’organisation de la vie quotidienne, un certain relâchement de l’observation de la règle de Bernard de Clairvaux fut quasiment inéluctable. En outre, les religieux abusent parfois de leur droit de justice seigneuriale, par exemple en faisant enfouir une femme vivante du côté de Gouvieux, et simplement coupable de vol.

Le retour au calme et à une vie à peu près normale sous le gouvernement de Charles le Sage (roi de 1364 à 1380) n’est pas durable et la crise s’installe de nouveau après son décès ; à plus forte raison à la suite de l’assassinat de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. Au commencement du XVe siècle, Royaumont est considérablement affaibli comme l’ensemble des abbayes cisterciennes, et les possessions de l’abbaye s’effondrent successivement sous le gouvernement de l’abbé Bertrand de Balneolis (1400-1418). Le nombre des moines a considérablement chuté et ne dépassera plus jamais le chiffre de vingt-cinq (quinze seulement pour le XVIIIe siècle). Déjà en septembre 1400, le chapitre général de Cîteaux décide d’une subside pour la remise en état de l’abbatiale se trouvant en état de ruine. Signant un acte d’adhésion à la domination anglaise le 29 janvier 1421, l’abbé Gilles de Cupè obtient d’Henri V d’Angleterre trois diplômes pour la restitution des biens spoliés, la confirmation des possessions et la libre direction du monastère. Sous ce même abbé, les signes de relâchement plus sérieux, voire de décadence, deviennent pour une première fois manifestes à Royaumont, quasiment un siècle après que les abbayes cisterciennes plus anciennes avaient été atteintes. Ils concernent le régime alimentaire et la propriété privée, et fait plus grave, le manquement à la stabilité, c’est-à-dire la fidélité à l’abbaye : les moines s’installent en ville ou dans des forteresses, chez des parents ou des amis, ou bien achètent des maisons, vivant ainsi à leur guise.

La guerre de Cent Ans prend fin dans la région avec la capitulation des Anglais à Paris en 1436 et la soumission au pouvoir de Charles VII d’Asnières, Luzarches, Viarmes, Beaumont-sur-Oise, Creil et Pontoise peu de temps après. L’ordre des Cisterciens tente de faire revenir les différentes abbayes à l’observance de la règle comme elle fut pratiquée au xiiie siècle, par le moyen de visites (inspections) par des abbés d’autres abbayes cisterciennes et de réformes imposées aux abbayes défaillantes. Dans ce cadre de « fraternelle assistance », la tâche de réformer la puissante abbaye de Chaalis au sud-est de Senlis incomba à l’abbaye de Royaumont. En 1463, l’abbé de Royaumont de lors, Jean III, eut à intervenir, sous l’ordre du chapitre général, à l’abbaye d’Igny ; et en 1466, à l’abbaye de Foucarmont. L’opinion publique demanda à cette époque des profondes réformes à l’ordre de Cîteaux. L’abbaye-mère jugea plus opportun d’assouplir certaines règles, notamment celle de l’abstinence de manger de la viande, que de faire respecter les règles de saint Bernard, pour éviter que les religieux ne vivent en désaccord avec les règles. Avec une décision du chapitre général de 1481, chaque abbé pouvait désormais dispenser les moines qui en faisaient la demande. L’abbé de Royaumont, Jean III de Cirey, réussit de faire revenir l’ordre à l’uniformité en 1485, en instaurant le compromis de manger de la viande trois fois par semaine (le mardi, le jeudi et le dimanche), dans un réfectoire dédié. En dépit de toute tentative de réforme, les mœurs se dégradent davantage, et les divertissements profanes entrent dans les habitudes de certains moines, comme le jeu et la chasse. Le pape Innocent VIII menace ainsi l’ordre des Cisterciens par la suppression en 1487.

Entre-temps, en 1473, la foudre s’abattit sur l’église et l’incendia. Une partie de la voûte et la flèche gothique brûlèrent, et la toiture de plomb fondit. Afin de pouvoir financer les réparations, l’abbé fit une requête auprès du roi, sollicitant six cents livres de rente. La reconstruction fut complètement terminée en 1500. Vint bientôt l’ère du dernier abbé régulier de Royaumont, Guillaume III Sallé de Bruyères, qui resta en poste pendant trente ans. Il paraît qu’il ne céda pas, contrairement à nombre d’autres abbés même réguliers, à la tentation du luxe, et qu’il ne vivait pas comme un seigneur, mais maintint un train de vie modeste. Sous son gouvernement, Royaumont fait de nombreuses acquisitions de terres à Asnières de la part de différents propriétaires laïques et religieux. Royaumont regagna une très bonne réputation dans cette première moitié du xvie siècle.

L’instauration du régime de la commende fut la conséquence directe, voire l’un des objectifs, du concordat de Bologne qui permettait au roi de nommer directement les évêques et abbés afin de pouvoir récompenser des membres de la noblesse et d’en faire ainsi des alliés. Mais selon le point de vue religieux, des effets bénéfiques furent également attendus de cette séparation de la gestion du temporel et du spirituel ; on y voyait la soumission des abbayes à des administrations indépendantes et le recentrage de la vie des moines sur le spirituel. Or, les personnages choisis comme abbés commendataires se distinguèrent rarement par leur désintéressement ou leur adhésion à la cause religieuse. Le premier abbé commendataire de Royaumont, Mathieu de Longuejoue, était un ancien maître des requêtes et n’était devenu prêtre qu’après avoir perdu sa femme et son fils, à l’âge de quarante-cinq ans. N’étant pas moine, il ne remplissait pas une condition essentielle pour être abbé, et fut froidement accueilli à Royaumont. L’abbaye lui avait été donné et les moines s’en sentirent dépossédés.

Tous les abbés commendataires qui suivirent ne furent pas moines non plus, et se caractérisaient par leur absence du point de vue économique, et par un néant sous le rapport spirituel. Ils vivaient la plupart du temps ailleurs, considérant l’abbaye comme simple source de revenus et ne laissant souvent qu’une partie aussi infime de la mense aux moines qu’il leur restât à peine assez pour survivre. Autant qu’il est vrai que la direction spirituelle incombait désormais au prieur, qui n’avait eu que des responsabilités limitées du temps des abbés réguliers, autant il faut reconnaître que les moyens pour assurer la bonne marche de la vie monacale leur faisaient défaut. Ceci n’empêcha pas les moines de mener une vie digne de leur état, et Royaumont garde une réputation de sainteté.

Avec le sixième abbé commendataire, Philippe Hurault (abbé de 1594 à 1620), l’abbaye de Royaumont sort de son « état complet de misère » et retrouve une administration plus soigneuse et plus intelligente, qui permit de « remettre Royaumont sur un excellent pied”. Pourtant Hurault n’était qu’un étudiant de dix-sept ans quand son père10 le fit pourvoir de quatre abbayes, afin d’assurer son entretien ; le pape devant accorder une dispense car l’âge légal pour être abbé était de vingt-et-un ans. Les autres abbayes étaient Pontlevoy, Saint-Père-en-Vallée à Chartres et le Valasse. En acceptant Royaumont, Philippe Hurault père rendit un grand service à son cousin Martin de Beaune, l’abbé de lors, car de multiples créanciers tentèrent de saisir l’abbaye. Cinq ans plus tard, Royaumont était déjà considéré comme « l’un des beaux biens qui fussent en France », valant à l’abbé six mille livres de revenus, somme qui doubla encore par la suite.

Le XVIIe siècle devint un siècle de renouvellement et de vitalité pour l’abbaye. Peu avant 1620, de nombreuses abbayes cisterciennes se réforment en suivant l’exemple donné par Denis Largentier, abbé de Clairvaux, qui était retourné vers une stricte observance telle qu’elle fut pratiquée avant la guerre de Cent Ans. Royaumont rejoignit ce mouvement, mais avec modération, car elle permit aux moines de rester dans la commune observance et laissa ainsi cohabiter les deux observances dans la liberté et la charité. L’ordonnance du 27 juillet 1634 promulguée par le cardinal François de La Rochefoucauld visant à supprimer la commune observance ne fut pas pour plaire aux religieux de Royaumont, qui s’adressèrent au cardinal de Richelieu pour obtenir un arbitrage. Richelieu fit étudier la question par un comité consultatif, et les moines de Royaumont lui offrirent le titre de perpétuel administrateur et restaurateur des bernardins. Le cardinal accepta donc de pleine grâce l’invitation à Royaumont en mars 1635, quand eurent lieu les conférences de Royaumont sous sa présidence, avec la participation de l’abbé de Cîteaux et des abbés des quatre principaux établissements de l’ordre. Deux mille abbayes partout en Europe regardaient sur Royaumont, mais les conférences n’aboutirent sur rien, de Richelieu ne proposant que le texte de la Rochefoucauld rédigé différemment. Toutefois, n’ayant pas de choix, les participants signèrent en date du 25 mars 1635 les articles de Royaumont, arrêté de mort des mitigés.

Le cardinal Jules Mazarin est pourvu de l’abbaye de Royaumont le 20 mars 1647 (où il ne s’est probablement jamais rendu), mais décide de s’en défaire rapidement au profit d’un fils de Henri de Lorraine-Harcourt qu’il veut récompenser pour avoir accepté de mener l’expédition de Flandre contre l’archiduc Léopold. C’est le prince Louis-Alphonse de Lorraine qui devient donc abbé de Royaumont en 1651. Plus tard, en 1659, son père décida de se retirer dans l’abbaye, et pour ne pas rester désœuvré, se fit nommer administrateur du revenu de l’établissement. Les Harcourt vécurent à Royaumont en grands seigneurs et donnaient des réceptions au palais abbatial, tout en maintenant une certaine modestie dans l’élégance car ils n’étaient pas riches. Les femmes ne furent par ailleurs pas exclues du palais, à commencer par la comtesse de Harcourt, et souvent, des membres de la famille y séjournaient pendant plusieurs semaines. Une grande tristesse se répandit à Royaumont au soir du 25 juillet 1666, Henri de Lorraine-Harcourt étant frappé mortellement d’apoplexie. La cérémonie des funérailles dans l’abbatiale attira des foules et vit la participation de nombreux personnages importants. Contrairement aux abbés commendataires, le comte de Harcourt avait choisi d’être enterré à Royaumont. Son mausolée est une œuvre de Antoine Coysevox ; il se trouve aujourd’hui dans le réfectoire et est à ne pas confondre avec le cénotaphe en l’église Saint-Roch de Paris (qui provient du couvent des Feuillants). Le palais abbatial resta un genre de « maison de plaisir des Lorraine », car le fils du comte de Harcourt resta abbé pendant trente-huit ans et son successeur jusqu’en 1728, Prince François-Armand de Lorraine-Harcourt, fut le neveu du précédent.

Le moine Benoît Dauvray consacra son temps aux recherches sur l’histoire de Royaumont, et ses mémoires manuscrits sont cités par son contemporain, Louis-Sébastien Le Nain de Tillemont, mais ont malheureusement disparu. Vers 1694, Royaumont accueille le collectionneur François Roger de Gaignières, qui s’était fixé comme objectif de visiter l’ensemble des abbayes et monuments français et d’en tracer des dessins. En 1713, Royaumont reçoit deux savants bénédictins, Edmond Martène et Ursin Durand, travaillant sur la Gallia Christiana. Selon eux, la bibliothèque de Royaumont ne brillait pas par la qualité de son inventaire, conservant peu de manuscrits de Saint-Louis d’intérêt. En 1694 également, parut pour la première fois La Bible de Royaumont, édition populaire et illustrée : cette bible n’a toutefois aucun rapport avec Royaumont, l’auteur ayant simplement choisi ce nom comme pseudonyme.

Lors d’un violent orage, la foudre frappe l’abbaye le 26 avril 1760, à deux heures du matin, et fait éclater un incendie dévastateur : le clocher de l’église et les combles sont entièrement consumés, à l’exception d’une section près de l’orgue ; la voûte du milieu est calcinée et les six cloches fondent. Les toits étant couverts de plomb, « cet immense bûcher faisait bouillonner des torrents de métal que les tuyaux ou gargouilles vomissent en ardentes cascades », l’oxyde de plomb colore la fumée d’un vert livide. D’autres parties du monastère sont également touchées par l’incendie, et beaucoup de documents d’archive disparaissent. Pour l’abbaye, c’est surtout un désastre financier, mais les travaux de réparation sont toutefois rapidement lancés et prennent moins de deux ans, financés par une coupe de bois de réserve dans le bois Bonnet. Le nouveau clocher paraissait plus lourd et moins élégant.

Le romancier Abbé Prévost est frappé d’une crise d’apoplexie aux portes de Royaumont à l’automne 1763 et transporté au presbytère. Le bailli de l’abbaye fait chercher le chirurgien de l’abbaye pour ouvrir le corps afin qu’il puisse procéder à son procès-verbal ; or, l’ancien abbé n’était pas encore mort en ce moment mais décède sous le scalpel.

Le dernier abbé commendataire de Royaumont mène une vie diamétralement opposée à l’austérité monastique. Henri-Éléonore-François Le Cornut de Ballivières est l’aumônier du roi et vit l’essentiel de son temps à Versailles, en costume civil. Il fut un ami proche de Diane de Polignac, qui vivait avec son frère le duc de Polignac et de sa belle-sœur, la duchesse de Polignac. Mais il se rend néanmoins à Royaumont qu’il fait visiter au futur tsar Paul Ier de Russie et au roi de Suède Gustave III. La dizaine de moines mènent une vie d’une certaine oisiveté, s’étant affranchi de nombre de contraintes que leur imposait la règle cistercienne.

Les appartements dont dispose l’abbé dans l’ancien pavillon abbatial (sur la gravure ci-contre, le bâtiment à gauche de l’abbaye) ne conviennent pas à son train de vie ni à ses illustres visiteurs, comme le roi Gustave III de Suède en 1783 venu sans s’annoncer. Détonnant avec les sobres bâtiments cisterciens du XIIIe siècle qui l’entourent, l’abbé de Ballivières fait édifier à partir de septembre 1784 un splendide palais abbatial néoclassique inspiré du petit Trianon autant que des villas de Palladio en Vénétie, avec salles de trictrac et de billard. Les travaux d’aménagement intérieur de la résidence ne sont pas achevés en 1789, et Ballivières ne profita point du nouveau palais, s’étant enfui à l’étranger dès les prémices de la Révolution française. Selon l’architecte Louis Le Masson, la totalité des frais s’élevèrent à 169 657 livres en août 1789, rien n’étant encore payé en 1791 et 1792. À titre de comparaison, les revenus annuels d’un curé portaient alors sur cinq cents à six cents livres, insuffisants pour en vivre, et les revenus annuels de l’abbaye de Royaumont étaient de 22 571 livres.

À la Révolution, l’abbé de Ballivières ne tarde pas à émigrer, inquiet de son sort, laissant seul les dix moines dont le prieur, dom Remy Cannone. En mai 1790, les représentants de la municipalité d’Asnières procèdent à un premier inventaire des biens et des revenus de l’abbaye. Les derniers moines ont alors le choix de retourner à la vie civile ou de conserver une vie monastique, et c’est ainsi que cinq d’entre eux rejoignent l’abbaye des Vaux-de-Cernay près de Dampierre-en-Yvelines. En octobre de la même année, les ordres religieux sont supprimés par l’Assemblée nationale et les biens de la communauté sont expertisés, la valeur de l’abbaye étant estimée à 192 413 livres, dont 48 193 livres pour l’église et 55 790 livres pour le cloître et les bâtiments conventuels, en mauvais état, et le restant pour le palais, les annexes et les autres possessions. Le 11 janvier 1791, les scellés sont posés, et la vente aux enchères de l’ensemble de l’abbaye comme biens nationaux se déroule en mars. Le 23, la mise en vente est annoncée et s’effectue en plusieurs lots les 9, 15 et 31 mai 1791. La plupart des lots sont adjugés sans enchères pour un prix total de 642 341 livres au marquis Jean-Joseph Bourguet de Guilhem de Travanet, un industriel, qui avait été le banquier de jeu de la reine Marie-Antoinette et avait épousé la femme de lettres Jeanne-Renée de Bombelles (fille de Henri François de Bombelles). Le marquis de Travanet connaissait l’abbé de Balivière de la cour de Versailles et avait été un voisin de l’abbaye.

Millin, conservateur à la Bibliothèque nationale, dresse un inventaire du patrimoine architectural de l’abbaye et en publie une description, à la suite du mandat obtenu de la Constituante en 1790. Le 22 et 23 décembre 1791, les bâtiments sont vidés des derniers témoins de leurs activités passées : le mobilier, les livres et les archives, l’argenterie, les cloches mais aussi les sépultures royales. Leurs cendres furent dispersées ultérieurement en application du décret de la Convention du 12 octobre 1793, et les tombeaux entamèrent une pérégrination par Saint-Denis, le Musée des monuments français alors à Versailles, pour se retrouver de nouveau à Saint-Denis, où certains d’entre eux restèrent. La commune de Viarmes acquit l’autel du XVIIIe siècle ; la commune d’Asnières-sur-Oise les reliques, le tombeau de Henri de Harcourt, les ornements liturgiques ainsi que trois caisses d’archives ; et la commune de Gonesse le restant des archives, des manuscrits et des livres. Il n’est pas sans intérêt que l’ancien prieur et un autre moine, dom Beaugrand, restèrent fidèles à l’abbaye au-delà de sa dissolution et disaient alternativement la messe le dimanche, dans l’ancienne sacristie, pour la famille de Travanet. Dom Beaugrand devint plus tard le curé de Seugy, et dom Cannone gérant d’une brasserie à Asnières puis cultivateur d’artichauts pour le marché parisien, jusqu’à son décès en 1827.

Le marquis de Travanet transforme l’abbaye en filature de coton. Les trois cents ouvriers sont employés à la destruction de l’église en 1792 à l’exception curieuse d’une tourelle ; les pierres sont utilisées pour construire les habitations des ouvriers. Les bâtiments restants sont adaptés à l’activité industrielle. La roue hydraulique de six mètres de diamètre est installée au centre du bâtiment des moines et alimentée par un nouveau canal (celui que l’on aperçoit aujourd’hui depuis l’entrée). Une seconde roue est installée dans le bâtiment des latrines. Deux travées du réfectoire des moines sont abattues pour y aménager le séchoir. Une galerie du cloître est également démolie. La production est lancée : deux cents livres de coton par jour. Le long de l’emplacement de l’église disparue, un bâtiment de quatre-vingt-cinq mètres de long est érigé en 1795 pour abriter des métiers à tisser le coton. L’année même, Travanet meurt et son frère, le vicomte de Travanet, lui succède. Les ruines de l’abbatiale reçoivent souvent la visite de la reine Hortense qui habite le château de Baillon jusqu’en 1803 et qui contribue à les faire connaître. Quand le frère du marquis décède à son tour vers 1812, la filature ferme provisoirement.

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Sources : Wikipédia, YouTube.

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