Guillaume Postel, orientaliste, philologue et théosophe.

Guillaume Postel est né le 25 mars 1510 dans le hameau de la Dolerie sur la paroisse de Barenton (dans le diocèse d’Avranches). Il s’est éteint le 6 septembre 1581, à Paris selon ses anciens biographes, mais il semblerait qu’il soit plutôt mort dans la ferme qu’il possédait à Trappes. C’est un orientaliste, un philologue et un théosophe français de confession catholique. Esprit universel et cosmopolite, Postel est le représentant français le plus caractéristique de la kabbale chrétienne.

Ses parents meurent de la peste quand il a huit ans. Très précoce, il commence à enseigner à l’âge de treize ans à Sagy afin de payer son voyage vers Paris. Mais dès son arrivée dans la capitale, un malfaiteur lui vole son argent et ses vêtements. Il tombe gravement malade, avec de la diarrhée saignante, et reste dix-huit mois dans un hôpital. Ensuite il

travaille comme ouvrier agricole dans la Beauce pour pouvoir à nouveau payer ses études. Il s’inscrit au collège Sainte-Barbe, où il entre au service du professeur espagnol Jean Gelida, originaire de Valence, qui enseigne l’Organon d’Aristote selon les méthodes scolastiques les plus traditionnelles. Mais après la publication de son traité De quinque universalibus (1527), Gelida est persuadé par Lefèvre d’Étaples de l’inanité de son enseignement ; il se remet alors totalement en question et reprend ses études sous la direction du jeune Postel.

Le collège Sainte-Barbe est alors très fréquenté par des Espagnols et des Portugais ; il est d’ailleurs en partie financé par le roi de Portugal pour la formation de missionnaires envoyés en Amérique et aux Indes. Postel y apprend le latin et le grec, mais aussi l’espagnol et le portugais, et se passionne pour la géographie et les Grandes Découvertes. Ignace de Loyola, à Paris depuis février 1528, étudie à Sainte-Barbe à partir de 1529 ; c’est là qu’il rencontre Pierre Favre et François Xavier et que se constitue le groupe qui va fonder la Compagnie de Jésus en août 1534. Postel est proche de ces hommes, dont il partage les aspirations mystiques, l’exigence de réforme de l’Église et le goût pour les missions lointaines et l’étude des langues orientales.

Il a commencé très vite à étudier l’hébreu : il s’est procuré auprès de Juifs de la capitale un alphabet, une grammaire (soit celle de Johannes Reuchlin, publiée à Pforzheim en 1506, soit celle de François Tissard, publiée à Paris en 1508) et un Psautier polyglotte (soit celui de Johannes Potken, publié à Cologne en 1518, et qui donne le latin, le grec, l’hébreu et le ge’ez, soit celui d’Agostino Giustiniani, publié à Gênes à 1516, avec l’hébreu, le grec, l’arabe et des commentaires en judéo-araméen, qu’il possède en tout cas en 1533, puisqu’il commence à y apprendre l’arabe). À partir de 1530, il peut suivre les cours d’hébreu de François Vatable au collège des lecteurs royaux qui vient d’être fondé. En 1539, Postel reçoit la troisième chaire de mathématiques et de langues orientales. Il prend dans plusieurs de ses ouvrages le titre de mathematicorum et peregrinarum linguarum regius interpres.

Guillaume Postel, carte maximum, Barenton, 23/01/1982.

En 1535, distingué notamment par Marguerite de Navarre, Postel est choisi pour accompagner Jean de la Forest, ambassadeur du roi François Ier à Constantinople. C’est son premier voyage en Orient (1535/37). On ne connaît pas avec précision son itinéraire, mais on sait qu’il a séjourné à Tunis, à Constantinople, et aussi en Syrie et en Égypte. Il est spécialement chargé d’obtenir du Grand vizir Pargali Ibrahim Pacha la restitution de l’argent d’un négociant français originaire de Tours qui est mort à Alger, mais la disgrâce et l’exécution imprévue du vizir fait échouer cette mission. Il doit également rapporter des livres orientaux pour la bibliothèque du roi. Pendant ce voyage, il perfectionne son arabe, qu’il parle désormais couramment, et se met au turc. Il a raconté plus tard que l’homme qui lui apprenait l’arabe dans le Coran en choisissant des passages en rapport avec le christianisme lui a finalement avoué être un crypto-chrétien comme des milliers d’autres, qui attendaient de l’Occident qu’on leur envoie des bibles imprimées en arabe. Cet épisode renforce le zèle missionnaire de Postel, persuadé de l’existence d’un substrat chrétien dans l’islam et les autres religions orientales.

Il est de retour à Venise, venant de Constantinople, en juillet 1537. Il y rencontre Daniel Bomberg, imprimeur spécialiste de l’édition de livres en hébreu, qui lui montre son installation et aussi des manuscrits rares, dont un Nouveau Testament en syriaque. Postel peut en retour lui montrer les livres et autres trésors d’Orient qu’il rapporte pour François Ier, mais aussi un livre cabbalistique en hébreu qu’il a trouvé à Constantinople et dont il fait grand cas. Il fait alors aussi la connaissance de Teseo Ambrogio degli Albonesi, qui connaît plusieurs langues orientales, notamment le syriaque et l’arménien, et a rassemblé une importante documentation sur trente-huit alphabets orientaux différents (pour une large part imaginaires, d’origine magique ou cabbalistique) ; il prépare une publication pour laquelle il a fait fabriquer des caractères typographiques syriaques et arméniens, les premiers ayant existé dans ces alphabets. Postel est passionné par ces travaux, et forme alors le projet de réaliser des éditions imprimées des Évangiles, non seulement en arabe, mais en syriaque et dans d’autres langues orientales.

Postel quitte Venise pour Paris le 9 août 1537. Revenu dans la capitale, ses grandes connaissances linguistiques et son expérience de l’Orient le font désormais admettre dans le cercle des humanistes qui entourent le roi. En 1538, il est nommé lecteur royal pour les langues orientales autres que l’hébreu (qu’enseigne toujours François Vatable). Il publie un livre sur douze alphabets orientaux (Linguarum duodecim characteribus differentium alphabeta. Introductio ac legendi modus longe facillimus, mars 1538), avec des reproductions en gravures, qui lui attire un reproche d’indélicatesse et de plagiat de la part de Teseo Ambrogio. Le même mois paraît aussi le De originibus, seu de Hebraica lingua, et un peu plus tard la Grammatica arabica (avec des caractères arabes quasiment illisibles).

Guillaume Postel, essais de couleurs.

Il approuve les tendances humanistes et réformistes de François Ier (qui a caressé l’idée de faire d’Érasme son confesseur), et fait partie des opposants aux tendances très réactionnaires de la Sorbonne. Ayant en tête un projet de réconciliation universelle sous l’égide d’un christianisme que tous reconnaîtraient comme la vérité sous-jacente de toutes les religions, il affirme à la fois l’importance de répandre la connaissance de l’arabe (langue d’une grande partie du monde) et des autres langues orientales en Occident, et de diffuser l’Évangile en Orient par des éditions imprimées. Il est proche du chancelier Guillaume Poyet, dont il reçoit d’importantes faveurs, mais ce ministre, à la suite d’intrigues politiques, est disgracié et embastillé en 1542. Entraîné par cette chute, Postel perd sa chaire au collège des lecteurs royaux fin 1542. Il publie alors un texte sur la proximité qu’il voit entre l’islam et le protestantisme (Alcorani, seu legis Mahometi, et Evangelistarum concordiæ liber, 1543), mais ce n’est qu’une partie d’un livre plus général intitulé De orbis terræ concordia, qui montre comment le judaïsme et l’islam peuvent se fondre dans le christianisme. Cet ouvrage est censuré par la Sorbonne et ne peut paraître qu’à Bâle en 1544 (avec les passages anti-protestants expurgés). Postel ne trouve plus aucun soutien auprès de François Ier. Se voyant réduit à l’impuissance à Paris, il se décide au début de 1544 à rejoindre Loyola et les jésuites à Rome.

Au début de 1552, Postel regagne Paris avec une étape à Dijon. Il est accueilli avec beaucoup d’intérêt à la cour et dans le milieu humaniste de la capitale, mais on ne lui rend pas sa chaire au collège des lecteurs royaux. Il se met à enseigner au collège des Lombards, en y mêlant ses prêches politico-religieux et mystiques, avec beaucoup de succès d’ailleurs, jusqu’à ce que son enseignement soit interdit. Il quitte à nouveau Paris en mai 1553, et avec des étapes à Dijon et à Besançon se rend à Bâle.

Dans cette ville, il rencontre notamment Caspar Schwenckfeld von Ossig, Sébastien Castellion et David Joris. Il est de retour à Venise en août 1553. Michel Servet, arrêté à Genève le 13 août, est brûlé vif par les calvinistes le 27 octobre. Postel réagit par une Apologia pro Serveto, à laquelle Calvin répond par une Defensio contra Servetum. Il poursuit d’autre part dans sa veine mystique et prophétique : la mère Jeanne étant morte (le 29 août 1550, avant le retour de Postel d’Orient), il est alors convaincu qu’elle a pris possession de son « corps spirituel » (le 6 janvier 1552, jour de son « Immutation »), et il prétend avoir des visions annonciatrices de la fin du monde. Il consacre deux livres à la mystique : Les très merveilleuses victoires des femmes du nouveau monde et La vergine venetiana.

À la fin de 1553, il est informé que Moïse de Mardin a gagné Vienne à l’invitation de Johann Albrecht Widmannstetter, chancelier d’Autriche et lui-même orientaliste. Le roi Ferdinand de Habsbourg, frère de l’empereur Charles Quint, a été persuadé de financer l’édition du Nouveau Testament syriaque, dont plusieurs centaines d’exemplaires doivent être envoyés aux Églises du Proche-Orient. Postel les rejoint alors à Vienne avec son manuscrit et participe à leurs travaux, qui réalisent un de ses projets. Il est nommé professeur à l’Université de la capitale autrichienne, mais n’y reste que quelques mois (l’ouvrage sortira en 1555). À Venise, ses écrits ont été attaqués pour hérésie, et il y retourne en mai 1554 pour se défendre.

Son procès devant l’Inquisition de Venise se termine en 1555 par la condamnation de ses livres, mais lui-même n’est pas personnellement qualifié d’hérétique, mais de fou (amens), et il est laissé en liberté. Mais peu après, s’étant rendu à Ravenne, dans les États de l’Église, il est arrêté à cause d’un autre livre et transféré à Rome, où il croupit pendant quatre ans dans la prison de Ripetta, où sont enfermés les hérétiques. Le pape régnant, Paul IV, est très sectaire et violent contre les protestants et les Juifs, et d’autre part, en septembre 1553, l’Inquisition romaine a fait brûler le Talmud sur le Campo de’ Fiori ; les accusations contre les « blasphèmes » des écrits juifs ont repris vigueur, et les chrétiens hébraïsants, comme Postel ou Andreas Maes, sont tenus en suspicion.

À la mort de Paul IV (18 août 1559), la foule en liesse met le feu au palais de l’Inquisition et libère tous les prisonniers. Postel connaît alors, pendant trois ans, une période d’errance : il est signalé successivement à Bâle, puis à Venise, puis à Augsbourg, puis à Lyon. En 1562, il est de retour à Paris, alors en proie aux troubles de la première guerre de religion. Il y poursuit ses prêches d’illuminé, qui se réfèrent toujours à la Mère Jeanne, et en 1563, considéré comme fou, il est interné au cloître de Saint-Martin-des-Champs. Il y reprend ses savants travaux, et sollicite du roi Philippe II d’Espagne des subsides pour financer une édition du Nouveau Testament en arabe. Il est question un temps d’intégrer cette version dans la Bible polyglotte d’Anvers de Christophe Plantin (patronnée par le roi d’Espagne), mais finalement ça ne se fera pas. Postel n’en joue pas moins un rôle important dans cette entreprise éditoriale, consulté par Plantin pour la taille des caractères typographiques, et aussi par l’entremise de son disciple Guy Le Fèvre de La Boderie.

L’histoire du « miracle de Laon » (l’exorcisme de la possédée Nicole Aubry, en janvier 1566, qui relance le conflit entre catholiques et protestants) le passionne : les faits lui sont rapportés par son disciple Jean Boulaese, et sous le pseudonyme de Petrus Anusius il publie une brochure apocalyptique en quatre langues (latin, français, italien, espagnol), De summopere considerando miraculo victoriæ Christi ou Le Miracle de Laon représenté au vif ; l’événement lui semble annoncer la fin de l’empire du mal, la conversion des infidèles et l’avènement de la monarchie chrétienne universelle, concept dans lequel il associe désormais les rois de France et d’Espagne. Cette publication lui vaut une ordonnance formelle de détention par le Parlement de Paris. Il ne passe cependant pas le reste de sa vie cantonné à Saint-Martin-des-Champs, et il semble qu’il soit en fait mort dans la ferme qu’il possédait à Trappes, oublié de tous.

Source : Wikipédia.